Le Meurtre
En ces heures de vice et de crime rigides,
Se rêve un meurtre ardent, que la nuit grandirait
De son orgueil – plafond d’ébène et clous algides -
Et de la toute horreur de sa noire forêt,
Là-bas, quand, parmi les ombres qui se menacent,
Au clair acier des eaux, un glaive d’or surgit
Vers les rages qui vont et les haines qui passent.- Et pieds mystérieux, pieds de marbre, sans bruit,
Là, quelque part, aux carrefours, en des ténèbres -Un silence total ferme la plaine, au loin :
Le ciel indifférent voile ses clairs algèbres,
Et rien, pas même Dieu, ne semble être témoin.
Tous les mêmes, luisants de lierre et tous les mêmes
D’écorce et de rameaux, comme un effarement,
Sur double rang, là-bas, jusqu’aux horizons blêmes,
Muets et seuls, des arbres vont, infiniment.- Un grand éclair nerveux, au bout d’un poing logique,
Et puis un râle, à peine ouï par les taillis -Et de la gorge ouverte et tordue et tragique,
Un sang superbe et rouge, en légers gargouillis,
Coule, comme un ruisseau de corail parmi l’herbe
Et, du torse troué, s’épand sur le sol noir.
La voix assassinée éclate en bouche acerbe
Et les regards derniers fixent comme un espoir
Quelque chose, là-bas, qui serait la justice.- Soudain, voici la peur de ce cadavre froid
Et la peur de la peur crédule et subreptice -Et vivement, avec des pleurs et de l’effroi,
Avec des mains repentantes et caressantes
Pour apaiser ce mort soudain et qui sera
Le fantôme des nuits lourdes et malfaisantes,
Le fantôme ! – quel est celui qui s’en viendra
Baisser, sur ces grands yeux, les paupières tombales
Et clore ces lèvres, silencieusement.- Et les remords choquent les fers de leurs cymbales
Et le voici qui peut tomber le châtiment -Alors, ouvre ton âme et déguste l’angoisse
Et le mystère éclos, aux caves de ton cœur :
Un flambeau qu’on déplace, une étoffe qu’on froisse,
Un trou qui te regarde, un craquement moqueur,
Quelqu’un qui passe et qui revient et qui repasse
Te feront tressaillir de frissons instinctifs
Et tu te vêtiras d’une inédite audace,
D’autres sens te naîtront, subtils et maladifs,
Ils renouvelleront ton être, usé de rages,
Et tu seras celui qui fut sanglant un peu,
Qui bondit hors de soi et creva les mirages
Et, biffant une vie, a fait oeuvre de Dieu !
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Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
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