Le mauvais moine
Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles
Etalaient en tableaux la sainte Vérité,
Dont l’effet, réchauffant les pieuses entrailles,
Tempérait la froideur de leur austérité.En ces temps où du Christ florissaient les semailles,
Plus d’un illustre moine, aujourd’hui peu cité,
Prenant pour atelier le champ des funérailles,
Glorifiait la Mort avec simplicité.- Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,
Depuis l’éternité je parcours et j’habite ;
Rien n’embellit les murs de ce cloître odieux.Ô moine fainéant ! quand saurai-je donc faire
Du spectacle vivant de ma triste misère
Le travail de mes mains et l’amour de mes yeux ?
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Charles BAUDELAIRE
Charles Pierre Baudelaire est un poète français, né à Paris le 9 avril 1821 et mort le 31 août 1867 à Paris. Il est l’un des poètes les plus célèbres du XIXe siècle : en incluant la modernité comme motif poétique, il a rompu avec l’esthétique classique ; il est aussi celui qui a popularisé le poème en... [Lire la suite]
Notre corps est un arbre, a déclaré l'ermite,
Notre esprit un miroir, il faut l'épousseter.
Ne se croyait-il pas porteur de vérité,
Celui qui transcendait le réel et ses mythes...
*
Ton arbre est dans un vase, a dit le cénobite,
Et d'un endroit à l'autre il peut se transporter.
Quant au miroir, tu peux tout un jour le frotter,
Tu ne nettoieras pas les reflets qui l'habitent.
*
Époussetons bien l'arbre, arrosons le miroir,
Car pour telle entreprise il n'est besoin d'espoir,
Ni de succès non plus pour que l'on persévère.
*
Les ayant accueillis dans ta méditation,
Retiens de ces deux mots la signification :
L'arbre, on en fait du bois, le miroir, c'est du verre.
Sobriété monacale
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Le moine reste au frais derrière sa muraille,
Méditant sur le doute et sur la vérité;
Au fond de sa cellule, un matelas de paille,
Un humble drap qu’il vante avec sincérité.
Il lit un peu de prose, écrit vaille que vaille,
Évoquant des quatrains qu’il aime réciter;
Il traduit quelques vers, osant une trouvaille,
Mais sans se départir de sa simplicité.
La lune dans le ciel, poursuivant son orbite,
Illumine la nuit d’une clarté subite;
Le bon moine se dit «C’est un clin d’oeil de Dieu».
Par la suite, il se verse un bon verre de bière;
Son esprit, s’en allant dans une errance fière,
Observe un grand prodige invisible à nos yeux.
English text for «Le Mauvais Moine»
the wide cold walls of cloisters, long ago
set forth God’s Holy Truth for all to see,
and gazing friars there, with hearts aglow,
rejoiced despite their chill austerity.
then, when the seed of Christ would always grow,
illustrious monks, now lost to memory,
would choose the burial-plot for studio
to chant Death’s glory, unaffectedly.
my soul’s a tomb, which — wretched friar! –
I have paced since Time began, and occupy;
bare-walled and hateful still my cloister stands.
o slothful monk! when shall I learn to find
in the stark drama of this living mind
joy for mine eyes and work to fit my hands?
Voir aussi
https://almavonowen.wordpress.com/2014/12/20/baudelaire-le-mauvais-moine-translated-by-lewis-piaget-shanks-flowers-of-evil/
(et l'ensemble de ce joli blog).
Moine bibliophile
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Livres autour de lui, formant une muraille,
Ce sont beaucoup de mots et peu de vérités ;
Plusieurs auteurs sont nuls, d’autres sont des canailles,
Le moine n’attend rien de leur sincérité.
Il écrit même, un peu, mais ce n’est rien qui vaille,
Rien qui soit composé pour la postérité :
Cependant il s’applique, on dirait qu’il travaille,
Désarmant de candeur et de simplicité.
Dans un lointain passé, ce fut un cénobite,
Il est devenu vieux, donc il se fait ermite ;
Il dit que c’est dans l’ordre, et que c’est pour le mieux.
Il a le souvenir d’aimables tavernières,
Depuis la plus ancienne, et jusqu’à la dernière,
Il se souvient qu’il fut un comique, à leurs yeux.