Le Forgeron
Sur la route, près des labours,
Le forgeron énorme et gourd,
Depuis les temps déjà si vieux, que fument
Les émeutes du fer et des aciers sur son enclume,
Martèle, étrangement, près des flammes intenses,
A grands coups pleins, les pâles lames
Immenses de la patience.Tous ceux du bourg qui habitent son coin,
Avec la haine en leurs deux poings,
Muette,
Savent pourquoi le forgeron
A son labeur de tâcheron,
Sans que jamais
Ses dents mâchent des cris mauvais,
S’entête.Mais ceux d’ailleurs dont les paroles vaines
Sont des abois, devant les buissons creux,
Au fond des plaines ;
Les agités et les fiévreux
Fixent, avec pitié ou méfiance,
Ses lents yeux doux remplis du seul silence.Le forgeron travaille et peine,
Au long des jours et des semaines.Dans son brasier, il a jeté
Les cris d’opiniâtreté,
La rage sourde et séculaire ;
Dans son brasier d’or exalté,
Maître de soi, il a jeté
Révoltes, deuils, violences, colères,
Pour leur donner la trempe et la clarté
Du fer et de l’éclair.Son front
Exempt de crainte et pur d’affronts,
Sur des flammes se penche, et tout à coup rayonne.
Devant ses yeux, le feu brûle en couronne.Ses mains grandes, obstinément,
Manient, ainsi que de futurs tourments,
Les marteaux clairs, libres et transformants
Et ses muscles s’élargissent, pour la conquête
Dont le rêve dort en sa tête.Il a compté les maux immesurables :
Les conseils nuls donnés aux misérables ;
Les aveugles du soi, qui conduisent les autres ;
La langue en fiel durci des faux apôtres ;
La justice par des textes barricadée ;
L’effroi plantant sa corne, au front de chaque idée ;
Les bras géants d’ardeur, également serviles,
Dans la santé des champs ou la fièvre des villes ;
Le village, coupé par l’ombre immense et noire
Qui tombe en faulx du vieux clocher comminatoire ;
Les pauvres gens, sur qui pèsent les pauvres chaumes,
Jusqu’à ployer leurs deux genoux, devant l’aumône ;La misère dont plus aucun remords ne bouge,
Serrant entre ses mains l’arme qui sera rouge ;
Le droit de vivre et de grandir, suivant sa force,
Serré, dans les treillis noueux des lois retorses :
La lumière de joie et de tendresse mâle,
Eteinte, entre les doigts pincés de la morale ;L’empoisonnement vert de la pure fontaine
De diamant, où boit la conscience humaine
Et puis, malgré tant de serments et de promesses,
A ceux que l’on redoute ou bien que l’on oppresse,
Le recommencement toujours de la même détresse.Le forgeron sachant combien
On épilogue, autour des pactes,
Depuis longtemps, ne dit plus rien :
L’accord étant fatal au jour des actes ;
Il est l’incassable entêté
Qui vainc ou qu’on assomme ;
Qui n’a jamais lâché sa fierté d’homme
D’entre ses dents de volonté ;
Qui veut tout ce qu’il veut si fortement,
Que son vouloir broierait du diamant
Et s’en irait, au fond des nuits profondes,
Ployer les lois qui font rouler les mondes.
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Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
- J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
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Dieu des couteliers
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À l’étage inférieur de sa maison de briques,
Le coutelier travaille au milieu d’un fatras ;
Il n’est pas forgeron, n’a pas d’énormes bras,
Mais il maîtrise bien les plans géométriques.
Or, même quand il est soûl comme une barrique,
Il n’en éprouve point de réel embarras ;
Quand il était petit, Vucain lui conféra
Le secret de l’acier cubique et cylindrique.
Les grands sabres de fer, les bêches et les socs,
Tout travail réussit à sa fierté de coq,
Sa petite boutique est une armurerie.
Mais très peu d’apprentis montrent de l’intérêt
Pour son noble savoir, qui partout disparaît,
Il restera le seul de cette confrérie.