Le dernier souvenir
J’ai vécu, je suis mort. – Les yeux ouverts, je coule
Dans l’incommensurable abîme, sans rien voir,
Lent comme une agonie et lourd comme une foule.Inerte, blême, au fond d’un lugubre entonnoir
Je descends d’heure en heure et d’année en année,
À travers le Muet, l’Immobile, le Noir.Je songe, et ne sens plus. L’épreuve est terminée.
Qu’est-ce donc que la vie ? Étais-je jeune ou vieux ?
Soleil ! Amour ! – Rien, rien. Va, chair abandonnée !Tournoie, enfonce, va ! Le vide est dans tes yeux,
Et l’oubli s’épaissit et t’absorbe à mesure.
Si je rêvais ! Non, non, je suis bien mort. Tant mieux.Mais ce spectre, ce cri, cette horrible blessure ?
Cela dut m’arriver en des temps très anciens.
Ô nuit ! Nuit du néant, prends-moi ! – La chose est sûre :Quelqu’un m’a dévoré le coeur. Je me souviens.
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Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français. Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça... [Lire la suite]
Un buveur ivre-mort
entend son vin qui coule
Et ne cesse d'emplir les pichets,
sans rien voir,
Lent comme une agonie
et lourd comme une foule.
Le tavernier manie un lugubre entonnoir.
Je descends d'heure en heure
et d'année en année
Godet après godet de pinard presque noir.
Je bois, et rien de plus. J'y passe ma journée.
Qu'est-ce donc que la vie, être jeune, être vieux,
Toute mission est là pour être abandonnée.
Je suis un peu trop plein, le vide est dans mes yeux,
Et Leconte de Lisle, un maître en démesure,
Remplit mon verre avec du vin bien frais. Tant mieux.
Ce pinard est léger, bien douce est sa blessure,
J'y fus accoutumé dans des temps très anciens.
Le pinard de Cluny imbibe mes chaussures,
Hier soir, j'étais ici, déjà. Je me souviens.