Poème 'Le Déluge' de Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT

Le Déluge

Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT

Là, de pieds et de mains, les hommes noirs de crimes
Des arbres les plus hauts gagnaient les vertes cimes ;
L’effroi désespéré redoublait leurs efforts,
Et l’on voyait pâtir leurs membres et leurs corps.
Ici, l’un au milieu de sa vaine entreprise,
Pour son peu de vigueur contraint à lâcher prise,
Blême, regarde en bas, hurle, ou semble en effet
Hurler, tout prêt à choir du chêne contrefait ;
Là, l’autre, plus robuste, empoignant une branche
Qui sous le poids d’un autre en l’air imité penche,
Fait que la branche feinte et s’éclate et gémit,
Et trébuche avec eux dans l’onde qui frémit.
Du sexe féminin les portraits lamentables,
Donnant, quoique menteurs, des touches véritables,
À bras tendus et longs soulevaient leurs enfants
Sur le liquide choc des périls étouffants.
Dans ce malheur commun, les bêtes éperdues
Grimpaient de tous côtés ensemble confondues ;
Les abîmes du ciel, versant toutes leurs eaux,
Interdisaient le vol aux plus vites oiseaux ;

En la laine d’azur la mer semblait s’accroître ;
Les monts l’un après l’autre y semblaient disparaître,
Et l’onde, encore un coup, triomphant des rochers,
Respectait l’arche seule et ses justes nochers.
Ceux qui de ce travail avaient vu les merveilles
Avaient vu par leurs yeux suborner leurs oreilles,
Car on croyait ouïr les cris et les sanglots
Des nageurs vains et nus qu’on voyait sur les flots ;
Et, sans le beau rempart d’une riche bordure
De fruits, de papillons, de fleurs et de verdure,
Qui semblait s’opposer au déluge dépeint,
Un plus ample ravage on en eût presque craint.
Les plus proches objets, selon la perspective,
Étaient d’une manière et plus forte et plus vive ;
Mais de loin en plus loin la forme s’effaçait,
Et dans le bleu perdu tout s’évanouissait.

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