Le Critique en mal d’enfant
Ce critique célèbre est mort en mal d’enfant.
Quel critique ! Il était fort comme un éléphant,
Vif et souple comme une anguille.
S’il étirait un peu ses membres avec soin,
Il enjambait la mer, et savait au besoin
Passer par le trou d’une aiguille.Au spectacle c’était charmant. Comme il jasait !
L’article Frédérick, l’article Déjazet
Pour lui ne gardaient pas d’arcanes.
Quant à ce qu’on appelle en ce temps-ci : des mots,
Il en laissait toujours au milieu des marmots
Sept ou huit au bureau des cannes.Il avait de l’esprit comme Jules Janin
Et comme Beaumarchais ; le sourcil léonin
De ce Jupiter de la rampe
Faisait tout tressaillir, Achilles, Arlequins
Et Gilles ; devant lui ces porte-brodequins
Étaient comme le ver qui rampe.Ce n’était qu’or et pourpre à tous ses dévidoirs.
Des myrtes qu’il avait cueillis dans les boudoirs
On eût chargé vingt dromadaires.
Certes il s’en fallait peu qu’il ne mît à bas
La Presse, La Patrie et même Les Débats
Par ses succès hebdomadaires !On disait : « Prémaray, ce divin bijoutier,
A pourtant le ciseau moins agile, et Gautier
La touche moins fine et moins grasse ;
Saint-Victor et Méry, coloristes vermeils,
Ne peignent pas si bien les cheveux des soleils :
Janin lui-même a moins de grâce. »Il n’était pas heureux pourtant. Devant son feu
Où parfois en silence il voyait d’un œil bleu
Mourir en cendre un demi-stère,
Des spectres noirs, sortis du fond de l’encrier,
Le talonnaient. C’est bien le cas de s’écrier
Ici : « Quel est donc ce mystère ? »Ou bien il était triste en même temps que gai,
Mêlant De Profundis avec Ma mie, ô gué !
Telle en ces paysages qu’orne
Une blanche fontaine aux paillettes d’argent,
La lune, astre des nuits, folâtre mais changeant,
Montre ensemble et cache une corne.Tel vous pouvez le voir gravé par Henriquel ;
Et voici le fin mot : le malheur pour lequel,
Poussant des plaintes étouffées,
Il laissait tant languir son âme en désarroi,
C’était de n’avoir pas d’enfants, comme ce roi
Qu’on voit dans les contes de fées.Parfois contemplant seul, le front chargé d’ennuis,
Les clous de diamants sur le plafond des nuits,
Il invoquait les Muses, l’une
Ou l’autre, et leur disait : « Érato, mon trésor !
Thalie ! ô Melpomène à la chaussure d’or ! »
Il disait à la Lune : « O Lune !Ne m’inspirerez-vous aucun ouvrage ? rien ?
Quoi ! pas même un nouveau système aérien ?
Un livre sur l’architecture ?
Un vaudeville, grand de toute ma hauteur ?
Ne deviendrai-je point ce qu’on nomme un auteur
Dans les cabinets de lecture ?Oui, la gloire est à moi, j’ai su m’en emparer ;
Et, ne produisant rien, je puis me comparer
Aux filles qu’on marie honnêtes ;
Je reste magnifique autant que paresseux,
Oui, mais ne pouvoir être à mon tour un de ceux
Qui montrent les marionnettes !Ce Lesage, hélas ! ni cet abbé Prévost !
Ni ce vieux Poquelin sur qui rien ne prévaut !
Ni ce Ronsard, ni ce Malherbe !
Danser toujours, pareil à Madame Saqui !
Sachez-le donc, ô Lune, ô Muses, c’est ça qui
Me fait verdir comme de l’herbe !Oh ! que ne puis-je, enflant cette bouche, hardi,
Hurler ces drames noirs que signe Bouchardy,
Ou bien par un grand élan d’aile,
Faire enfin, n’étant plus un eunuque au sérail,
Des romans comme ceux de Ponson du Terrail
Ou du ténébreux La Landelle ! »Il le faut, tôt ou tard un dénouement a lieu.
Or, la nymphe d’une eau thermale, ou quelque dieu
Mettant le nez à la fenêtre,
Voulut prendre en pitié l’illustre paria.
Notre homme devint gros, et chacun s’écria :
« Quelque chose de fort va naître. »Lui se tordait avec mille contorsions
De gésine. Ébloui par les proportions
Vertigineuses de sa taille,
Le prenant pour un mont, Préault disait : « Oh ! ça,
C’est Pélion, ou bien son camarade Ossa :
Allez-vous-en, que je le taille ! »Et l’attente dura dix ans. Les médisants,
Comme un chœur de vieillards, répétèrent dix ans
A la foule, en s’approchant d’elle :
« Tu prépares ton clair lorgnon, mais vainement.
Va plutôt voir Guignol que cet événement :
Le jeu n’en vaut pas la chandelle ! »Enfin, pour accoucher le moderne Pança,
On prit tout bonnement une épingle : on pensa
Le vider comme un œuf d’autruche.
Il ne sortit pas même, ô rage ! une souris
De ce ventre dont l’orbe excita nos souris :
Le critique était en baudruche !
Janvier 1857.
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire