Le Coup de tampon
Depuis plus de quinze ans, le nommé Marc Lefort
Est mécanicien sur la ligne du Nord.
Naguère bon sujet, adroit, exact, honnête,
Il fut toujours noté pourtant « mauvaise tête » ;
Car il se nourrissait d’un journal rouge-sang,
Qu’il supposait de très bonne foi, l’innocent !
Mais, l’an dernier, voilà ― c’est l’éternelle histoire ―
Qu’il devient veuf, s’ennuie, et qu’il se met à boire.
Ah ! pas de sermon ! L’homme, à ce rude métier,
Ne se contente pas de son demi-setier.
Je voudrais vous y voir ! Vivre sur sa machine,
Le visage à la flamme et le froid dans l’échine ;
Se faire, par des temps de chien, la nuit, l’hiver,
Secouer les boyaux sur le plancher de fer :
A la longue, cela vous donne une coquine
De soif !… On boit son litre au lieu de sa chopine.
Puis, comme l’ouvrier n’a que de mauvais vin,
Il en arrive à l’eau-de-vie, et c’est la fin.
Te voilà pour toujours ivrogne, mon bonhomme !Donc, Marc Lefort buvait. Mais il était, en somme,
Un de ces gaillards tels qu’on n’en voit pas beaucoup.
Même lorsque, la veille, il avait bu son coup,
Il arrivait toujours d’aplomb pour le service.
On eût fermé les yeux volontiers sur son vice,
Pas si grave, après tout, et dont le peuple rit ;
Mais ses chefs le tenaient pour un mauvais esprit.
« La Compagnie ? Encore une sale boutique ! »
Disait-il. On savait qu’il parlait politique,
Suivait les clubs, lisait les feuilles, pérorait.
Bref, si l’on n’avait pas gardé quelque intérêt
Pour son passé, sans doute on l’eût mis à la porte.Tout le malheur, c’était que sa femme fût morte.
Pauvre diable ! Jadis, lorsque Marc, s’enflammant,
Rêvait la « Sociale » et le chambardement,
Sa Zoé lui disait gaîment, un peu bourrue :
« Faudra toujours quelqu’un pour balayer la rue ;
Et ce ne sera pas Rothschild, va, sois-en sûr ! »
Et lui, calmé, frottant une allumette au mur,
Répondait en riant :
« Ça, c’est vrai, la bourgeoise. »Mais, lorsqu’il vécut seul et qu’il eut son ardoise
Au cabaret, le veuf s’aigrit. C’était fatal.
Le voilà maudissant l’infâme capital
Et contre les patrons répandant l’invective.
Oui ! pendant qu’il trimait sur sa locomotive,
Ils ronflaient, les gavés, dans des coupés bien chauds ;
Et cætera… Parlant dans un club d’anarchos,
Il s’y fit applaudir et devint populaire
Par ses discours chauffés d’ivresse et de colère.
Enfin, sur un placard insurrectionnel
Il mit son nom.
Un gros bonnet du « personnel »
Le manda sur-le-champ, ― un vieux casse-noisette,
Poivre et sel, regardant ses ongles, la rosette
Au revers de l’habit, l’air pincé, très correct.« Lefort, depuis longtemps, vous nous êtes suspect,
Lui dit-il ; vous avez lassé notre indulgence.
Vous buvez.
― Mais…
― Suffit ! Ayez donc l’obligeance
De lire ce papier, et dites oui ou non…
Vous avez signé ça, vraiment ?
― Oui, de mon nom,
Dit Marc qui redressa la tête.
― C’est stupide,
Mon cher. Tant pis pour vous… Vous menez le rapide
De Calais, cette nuit, pour la dernière fois.
Au retour, vous n’aurez qu’à toucher votre mois.
Vous êtes révoqué… Bonsoir ! »Pour une douche,
C’en était une. Avec un juron dans la bouche,
Marc fit claquer la porte et partit furieux.Il faisait beau. La rue avait un air joyeux.
D’une école sortait une bande de gosses.
Les charrettes à bras et leurs humbles négoces
De verdure et de fruits parfumaient le trottoir ;
Et des couples, parmi la poudre d’or du soir,
Passaient, heureux, chacun auprès de sa chacune.
Marc Lefort, remâchant sa bile et sa rancune,
Errait, les poings serrés d’un geste machinal.Renvoyé ! Pour son nom signé dans ce journal !
Pour ses opinions, mis à pied sans réplique !
Ça, c’était un peu fort. Voilà leur République
De vendus, où le peuple est traité comme un chien !…
Alors on ne pouvait plus être un citoyen,
Parler tout haut, avoir son avis et le dire ?
Meurs de faim, ou tais-toi ! C’est pis que sous l’Empire.
Trop heureux de ne pas attraper de prison.
Ah ! misère ! Avec leur chimie, ils ont raison,
Les Russes. Si l’on veut renverser la marmite
Des bourgeois, il faudra prendre la dynamite
Et les faire sauter, dût-on sauter avec !…Puis, dans un café borgne, ayant la gorge à sec,
Marc s’établit et but, coup sur coup, trois absinthes.… Cependant, quelque chose est juste au fond des plaintes
Et des yeux menaçants du pâle faubourien.
Riches, songez au peuple : il fait tout et n’a rien ;
― Oui, tout, pour vos besoins, votre luxe et vos vices ! ―
O privilégiés, faites des sacrifices ;
Il en est temps, grand temps ! Mettez, puissants du jour,
Dans vos lois un peu plus de douceur et d’amour.
Rendez aux malheureux la haine moins facile.
Prenez-y garde ! Il est trop de gens sans asile ;
Il est trop, beaucoup trop, de filles de seize ans
Qui rôdent, en frôlant du coude les passants ;
Trop d’enfants vagabonds, l’œil terne et le teint jaune ;
Trop de vieux artisans condamnés à l’aumône,
Après trente ans et plus d’enclume ou d’établi.
Sybarite, ton lit de roses fait un pli,
Et tu geins. Que d’errants sans un toit pour y vivre !
Comme c’est cher, le pain à quatre sous la livre !
Réponds, gourmand, toi qui t’es plaint qu’on ne pouvait
Trouver, l’autre décembre, un melon chez Chevet !
Vraiment, je vous le dis, jouisseurs, prenez garde !
L’édifice des lois caduques se lézarde.
Héritier d’un parent plus ou moins éloigné,
Dis-moi, ce sac plein d’or, tu ne l’as pas gagné :
Si nous parlions un peu des droits du légataire ?…
O Pompéiens, mettez l’oreille contre terre.
Comme elle est chaude, et quels grondements de courroux !
Des jets empoisonnés s’échappent par les trous.
Le vieux sol social, de moissons trop avare,
Est brûlant sous vos pieds comme une solfatare.
Ne vous endormez pas dans les profonds coussins.
L’éruption menace, et les temps sont prochains.Le rapide partait à dix heures cinquante.
Ivre, mais marchant droit, l’allure provocante,
Marc arrive à la gare. Une dernière fois,
Il va donc les conduire encore, les bourgeois,
Les gens du train de luxe, enfin ceux qu’il déteste.
Il rejoint sa machine, y monte d’un pied leste
Auprès de son chauffeur enfournant du charbon,
Dit, comme à l’ordinaire : « Ouvrons l’œil, et le bon ! »
Met son gros paletot, sa casquette fourrée,
Et s’installe, l’œil clair, la main bien assurée
Pour le sifflet d’alarme et le régulateur.
On a bu, mais quand même on est « à la hauteur »,
Pas vrai ? Ça le connaît, l’express ; et pas de risques
Qu’il confonde jamais les signaux et les disques.
On peut voir son livret, jamais un accident.
Les rosses de patrons l’ont chassé cependant.
Canailles !… Il les hait d’une haine mortelle.Mais le train est formé, la machine s’attelle ;
Et Marc peut voir de loin, là-bas, faisant le beau,
Parmi les dos courbés et les coups de chapeau,
Monter dans le sleeping un ministre en voyage.
Allons ! On a fini de charger le bagage.
« En voiture ! » Un dernier voyageur en retard
Accourt, tout essoufflé, sur le quai de départ
Où l’électricité met sa froide lumière.« Ils vont faire dodo, les richards de « première »,
― Songe, avec un mauvais regard, le forcené. ―
Si le rapide était quelque peu tamponné,
Ça les réveillerait, ces messieurs de la « haute » ;
Mais, je t’en moque ! aucun danger que le train saute.
Ils sont bien trop veinards… Pourtant, si l’on voulait ?… »Mais voici qu’a vibré l’aigre coup de sifflet.
En route ! L’express noir aux ferrailles sonnantes,
Avec de grands fracas sur les plaques tournantes
Et des coups lourds, pareils à ceux d’un balancier,
S’est ému sous l’effort des deux bielles d’acier.
Très lentement d’abord, puis plus vite, plus vite,
Plus vite encore, il court, il va, se précipite,
Et, râlant et fumant, dévore le terrain.
Le rythme s’est triplé de son galop d’airain.
Les longs trains endormis où de grands bœufs mugissent
Sont dépassés. Des murs disparaissent et glissent ;
Puis un désert de rails, plein de fanaux épars ;
Un tunnel ; le profil sévère des remparts ;
Puis les sombres tuyaux de l’extrême banlieue.
Enfin, à travers champs, dans la nuit pure et bleue,
La machine se rue aux horizons nouveaux.
Son énorme lanterne éclaire les pavots
Poussés dans le balast, parmi la pierre brune ;
Et, dans le ciel, la face humaine de la lune,
Ronde et blafarde, avec dés regards singuliers,
Bondit éperdument sur les hauts peupliers.Bien qu’en fureur et bien qu’ayant bu plus d’un verre,
Le mécanicien est tout à son affaire.
― Vieux monde sans espoir, injuste et compliqué,
C’est ainsi que tu vas ; et l’homme fatigué
Remplit sa fonction d’instinct, par habitude ! ―
Le rapide, à travers la claire solitude,
Vertigineusement roule, galope et fuit.
Il vomit de la flamme, et l’insecte de nuit
Dans le sillage ardent vient brûler son élytre.
Marc Lefort, attentif, calme, l’œil à la vitre,
Touchant les cuivres chauds avec tranquillité,
Semble un héros vainqueur sur un monstre dompté.
Mais voici la lueur d’une gare importante ;
Et Marc voit devant lui, sous la lune éclatante,
Tout un réseau confus de rails s’entre-croiser.
Place ! Il n’a qu’à siffler au disque et qu’à passer.
On doit faire partout libre voie au rapide.Mais tout à coup, il a frémi, Marc l’intrépide !
Son cœur se crispe ; il sent un frisson le saisir ?
Là ! devant lui… Cet œil de feu qu’il voit grossir,
Grossir !… et ce tuyau qui grandit et se montre !…
Tonnerre ! C’est un train qui vient à sa rencontre !…
Le chauffeur, dont les yeux soudain deviennent fous,
Se jette dans le vide en criant : « Sauvons-nous ! »
― Et le choc aura lieu dans quatre ou cinq secondes…Le hasard t’interroge ; il faut que tu répondes,
Marc Lefort ! Les patrons, les exploiteurs, ― ces gueux ! ―
Voilà l’occasion de sauter avec eux !
Tu voulais bien, tantôt ? Satisfais ton envie.
Bien plus, tu peux sans doute encor sauver ta vie.
N’es-tu pas leste ? Fais comme ton compagnon.
Tu ne vas pas rester solide au poste ? Non.
Discipline, devoir, honneur ! C’est de la phrase.
Tu les hais, ces bourgeois. Que le train les écrase !
Mais toi, défends ta peau !… Vite !… La mort accourt !C’est bien court, quatre ou cinq secondes, c’est bien court ;
Mais pendant cet instant, ― cet éclair ! ― la pensée
De Marc par ce désir affreux fut traversée.
Oh ! quel choc ! Les wagons heurtés violemment
Font entendre un sinistre et profond craquement.
Les deux machines ont une lutte effrayante ;
Et, crachant la vapeur, la flamme et l’eau bouillante,
Par leurs flancs où rugit un monstrueux travail,
Les deux dragons de fer se mordent au poitrail.Comme toujours, dans ces terribles aventures,
Les voyageurs se sont jetés hors des voitures
Et courent en poussant des hurlements d’effroi.
Mais la gare est très proche et se met en émoi.
Par ici !… Du secours !… Enfin, de la lumière !…
Chacun se calme un peu de sa frayeur première.
On s’empresse aux wagons ! Ah ! fort heureusement,
Plus de peur que de mal ! Deux blessés seulement.
Aucun mort. Si, pourtant. Un seul, ― c’est pitoyable ! ―
Le mécanicien de l’express, pauvre diable,
Qu’on trouve, brûlé vif, horrible, agonisant,
Sur les débris de sa machine, dans son sang !
Comme a fait son chauffeur, il pouvait fuir en lâche.
Non ! martyr du devoir, victime de sa tâche,
Jusqu’au dernier moment, ― sûr de mourir, sans peur, ―
Il a serré le frein, arrêté la vapeur ;
Et sans lui, l’accident serait cent fois plus grave.Certes, autour du mort, on dit : « C’était un brave ! »
Mais elle est brève, hélas ! la pitié des heureux.
Vite, on jette un manteau sur ce cadavre affreux
Dont l’aspect épouvante et dégoûte les dames.
Et nul ne peut savoir que le pire des drames
S’est passé dans cet homme avant qu’il expirât,
Que ce héros fut près d’agir en scélérat,
Qu’un instinct généreux triompha de sa haine,
Que son âme vainquit en lui la bête humaine,
Et qu’entre deux partis à prendre ayant le choix,
Marc l’anarchiste est mort pour sauver les bourgeois !
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François COPPÉE
François Édouard Joachim Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris où il est mort le 23 mai 1908, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète du souvenir d’une première rencontre... [Lire la suite]
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- À l'Empereur Frédéric III
Blanquefort de jadis et naguère
—————————————-
Depuis quinze cents ans, les ducs de Blanquefort
Résistent sans faiblir aux Barbares du Nord ;
Nous n’avons pas trouvé cela si ridicule,
Puisque François Coppée ne les croit pas en tort.
Blanchemort des neiges d’antan
——————–
Depuis quinze cents ans, les fous de Blanchemort
N’ont jamais pu capter qu’ils ont perdu le Nord ;
Ne les prends surtout pas pour des gens ridicules,
Car Georges Courteline a dit qu’ils sont très forts.
http://www.paradis-des-albatros.fr/?poeme=courteline/le-coup-de-marteau
Le Coup de marteau
-----------
Au temps lointain où le dénommé Marc Lefort
Était mécanicien sur la ligne du Nord,
Où le nommé Prosper-Nicolas Lacouture
Était mécanicien sur la grande ceinture,
Où les nommés-Lafesse et Gustave Pruneaux
Étaient chauffeurs sur la ligne des Moulineaux
(Champ-de-Mars-Saint-Lazare) en ce même temps, dis-je,
— Et cette vérité tient presque du prodige —
Le nommé Jean-Paul-Pierre-Antoine-Oscar Panais
Menait l’express sur la ligne du Bourbonnais.
C’était un grand garçon à l’humeur assagie
De bonne heure, vivant d’un verre d’eau rougie
Et d’un croûton de pain rassis barbouillé d’ail ;
Qui jamais n’eût emménagé sans faire un bail,
Et dont les gens disaient : « C’est une demoiselle ».
Contents de lui, ses chefs l’estimaient pour son zèle,
Prisaient fort son intelligence et trouvaient bon
Qu’il économisât sur ses frais de charbon.
Lesseps, un an, l’avait employé, pour son isthme.
Par malheur, il était atteint de daltonisme,
En sorte que l’erreur de ses sens abusés
Lui montrait à rebours les tons interposés :
Il voyait le vert rouge et le rouge émeraude.
Fatalité ! Souvent, à l’heure où le soir rôde,
Vieux voleur, sur les toits embrumés des maisons,
Met un voile de rêve aux lointains horizons,
Où la nuit lentement jette ses tentacules,
Où sur la profondeur des fins du crépuscule
Les signaux allumés en feux rouges, verts, blancs,
Épouvantablement ouvrent leurs yeux troublants ;
Oscar Panais sentait sa poitrine oppressée ;
Le front bas sous le poids trop lourd de sa pensée,
Il blêmissait, songeant qu’il tenait en ses mains
Les clés de tant de sorts et tant de fils humains !
Cela devait finir de façon effroyable.
Un jour qu’il conduisait son train, le pauvre diable
(La neige à gros flocons tombant d’un ciel couvert)
Vit le disque fermé malgré qu’il fut tout vert.
Au lieu de ralentir, Panais, tendant l’échine,
Renversa la vapeur, fit stopper la machine,
Au même instant, le train de ballast trente-six
Arrivait et prenait le rapide en coccis.
Choc !!! Vainement Panais, la prunelle agrandie,
Sur le régulateur tient sa dextre roidie,
Fait hurler le sifflet aigu, gémir le frein,
Les wagons de ballast sont déjà sur son train !...
Ô splendeur de l’horrible ! Ô monstrueuse joie
Des veux terrifiés et ravis ! Sur la voie
S’abattent lourdement les fourgons terrassés !
Le sang des morts ruisselle en l’herbe des fossés.
Cris ! pleurs ! sanglots ! spectacle atroce et magnifique !
Les pieds en l’air, près d’un poteau télégraphique,
La machine du train trente-six a sombré ;
La braise coule à flots de son sein éventré.
On entend : « Je me meurs ! Au secours ! » Une mère
Veut revoir son enfant aimé, sa fille chère.
On se cherche à travers les décombres, parmi
Les morts défigurés ; l’ami cherche l’ami,
La sœur cherche son frère ; un vieillard crie « Auguste ! »
Un gros Anglais ganté de rouge, dont le buste
Jaillit hors de la glace en miettes d’un coupé,
Hurle : « J’ai perdu mon chapeau ; j’en ai soupé ;
Je ferai constater le fait par ministère
D’huissier, et m’irai plaindre au consul d’Angleterre.
Je veux d’indemnité dix mille francs au moins !
Et vous, mes compagnons, vous serez les témoins ! »
Puis la nuit vint, sereine, et d’astres constellée.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La Compagnie, un mois après, fut appelée
Devant les tribunaux, comme civilement
Responsable, et se vit condamnée amplement.
Les uns eurent cent francs, les autres davantage.
Le gros Anglais eut un chapeau neuf en partage,
Et chacun s’en alla content, ayant son dû.
Touchant Panais, le jugement dit :
« Attendu
Que Panais est un simple idiot, pas autre chose
Qu’il importe dès lors de le mettre hors cause,
L’acquitte, le renvoie indemne et l’interdit,
Le prive de ses droits civils, ordonne et dit
Qu’il sera dès ce soir reçu dans un asile
Où, défrayé de tout, à titre d’imbécile,
Il sera mis ès-mains des hommes dits de l’art.
Or, j’ai vu ce pauvre être, hier, à Ville-Évrard.
Il est fou tout à fait, et se prend pour un disque !!!
Parfois, une heure ou deux, droit comme un obélisque,
Il demeure immobile, et, sans un mot, tourné
Vers le mur de l’hospice, un mur illuminé
De soleil et qu’habille une frondaison verte,
Voulant dire par là que la voie est ouverte,
Puis, sur ses lourds talons évoluant soudain,
Le dos au mur, alors, et le nez au jardin :
« Je suis fermé, dit-il ; que le convoi recule ! »
Et je ne trouve pas cela si ridicule.