Le Corbeau et le Renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Poème préféré des membres
Lelys, Monodji, JulienALBESSARD, id2profs et Matamaure ont ajouté ce poème parmi leurs favoris.
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Jean de LA FONTAINE
Jean de La Fontaine, né le 8 juillet 1621 à Château-Thierry, est un poète français de la période classique dont l’histoire littéraire retient essentiellement « les Fables » et dans une moindre mesure les contes licencieux. On lui doit cependant des poèmes divers, des pièces de théâtre et des livrets... [Lire la suite]
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Voir à l'adresse
http://lutecium.org/stp/cochonfucius/tordus.html
quelques possibilités de variantes inspirées des "mots tordus" de l'humoriste Pef.
Un bijou que cette fable, populaire autant que mésestimée… Ce texte éclaire comme rarement, il me semble, les ressorts manipulatoires du langage, véritable arme sociale lorsqu’il est exploité par un habile filou au nom de ses intérêts. On est bien loin de la tradition philosophique attribuant au langage une vocation de servir la raison naturelle et de dire le vrai. Ici prévaut non pas le discours rationnel, mais l’éloquence rationalisante, soit le sophisme dans toute son efficacité ; sophisme symptomatique d’une société malsaine et violente par ailleurs. Je tente dans les lignes suivantes d’expliciter mon propos.
En philosophie, on s’est longtemps intéressé au paradoxe du menteur. Et on a fini par admettre que cette proposition « le menteur ment » est vraie. Dans la fable, tout se passe comme si le renard soutenait un nouveau paradoxe : le menteur qui ment est honnête. Il va jusqu’à expliquer qu’en raison de cette honnêteté, le dit menteur mérite, comme tout travailleur, d’être rémunéré pour sa prestation ! (« Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute »). En effet, le canidé ne se présente pas seulement comme un menteur professionnel (« un flatteur ») « qui vit aux dépens de celui qui l’écoute ». S’il ment pour ses intérêts, et en l’occurrence pour ravir le fromage au corbeau (cf. « Maître Renard, par l’odeur alléché »), il ment aussi pour le bien de son interlocuteur, le flattant en lui procurant du plaisir d’une part (« A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie »), lui enseignant ensuite, d’autre part, surtout, une vérité pratique, à savoir qu’une certaine naïveté et mégalomanie constitue un tort dans la jungle sociale (cf. « ces bois ») où tous les coups sont permis , où rien n’est gratuit (« cette leçon vaut bien un fromage sans doute »). Un menteur empathique qui finit par dire le vrai, à qui le corbeau lui-même donne raison, jurant, après avoir été dessaisi de son fromage, « qu’on ne l’y prendrait plus » ! Précisément, cette seule réaction du corbeau témoigne un renoncement à vouloir obtenir réparation et justice ; et par là même, elle transforme le vol du canidé en un dessaisissement tacitement consenti, honnête pour tout dire.
Comment le renard a-t-il réussi ce coup de force de voler le corbeau, lui-même un prédateur (cf. « proie »), tout en obtenant son consentement, accomplissant au final une action légitime, voire même utile et charitable selon ses termes ?
Pour le comprendre, il faut commencer par voir dans les premiers vers un tableau allégorique de la société du XVIIème siècle. Celui qui détient un bien enviable, le corbeau, se situe haut perché dans l’échelle sociale (« Maître Corbeau, sur un arbre perché »). Celui qui est réduit à la situation de devoir envier ce bien (« Maître Renard, par l’odeur alléché ») se situe au bas de l’échelle, soit au pied de l’arbre. Le « fromage » si convoité tient lieu de symbole ; en tant qu’objet agro-alimentaire, il représente le capital au sens économique, dans une société du XVIIème siècle dominée par le secteur primaire.
Mais si le corbeau, détenteur du fromage, se permet de regarder le renard de haut, il n’en reste pas moins affilié à la même classe sociale. En effet, le titre « Maître » attribué aux deux personnages par le narrateur (« Maître Corbeau », « Maître Renard ») en fait, l’un et l’autre, des bourgeois respectés. On tient ici deux types de bourgeoisie : une bourgeoisie des lettres représentée par un professionnel de la flatterie, et une bourgeoisie du commerce représentée par un capitaliste. On découvre également, au-delà de leur réputation, deux types de bourgeois : l’un, le renard, est un escroc lettré, l’autre, le corbeau, est un riche parvenu (cf. « proie ») dont la fortune, à l’instar de celle du bourgeois gentilhomme de Molière, le pousse à chercher une reconnaissance aristocratique. Car le corbeau se tient sur sa branche comme sur un arbre généalogique, ne dissimulant pas une prétention dynastique. C’est du moins ce qu’en conclut le renard qui, en l’apercevant, emploie à son intention le titre de « Monsieur » (longtemps l’apanage des nobles car dérivé à la fois de « Monseigneur » et de « Messire »), ainsi que la particule aristocratique « de / du » : « Hé, bonjour, Monsieur du Corbeau ! ». Le renard fait davantage ; à son « bonjour » lumineux succède une comparaison du corbeau à un « phénix », l’oiseau de feu immortel, dans un contexte qui n’est pas sans évoquer le roi-soleil, soit Louis XIV en personne, immortel comme toute personnification officielle de la royauté (« Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois »).
A l’évidence, le corbeau souffre de mégalomanie. C’est un complexé et un mythomane d’autant plus vulnérable aux flatteries du renard. Seul un complexe préalable et une mythomanie prononcée expliquent qu’il prête foi aux boniments du renard. Laid (selon la tradition littéraire et artistique) et doté d’une voix rocailleuse, il croit néanmoins le canidé quand celui-ci affirme, avec force et incantation de surcroît, qu’il est séduisant (« Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! »), puis quand il se demande si son chant n’est pas digne d’éloge comme son plumage (« si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois »). Dans cette naïveté qui le pousse à se prendre pour ce qu’il n’est pas, voire même pour son contraire, le corbeau veut prouver qu’il chante admirablement, ce qui lui fait lâcher son fromage (« Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie »). Sa mégalomanie, excitée par le renard, est la véritable raison de son malheur ; bien que le renard fasse preuve de cynisme (cf. « sans mentir »), qu’il se soit montré aussi rusé et perfide que le veut la tradition littéraire, il ne s’est borné au fond qu’à offrir à l’oiseau l’occasion d’exprimer toute sa démesure.
De là à ce que le canidé, jusqu’ici un flatteur, dépeigne le voleur qu’il devient comme un honorable professeur (« cette leçon vaut bien un fromage sans doute »), et le corbeau qu’il dépouille comme un élève / auditeur généreux (cf. « Mon bon Monsieur », « Apprenez… »), c’est quand même assister à un franchissement des limites en termes de moralité et de décence. Mais le rusé canidé s’assure de cette manière que l’oiseau, déjà déchu avec la chute du fromage (cf. « honteux »), puis impuissant physiquement à se faire justice lui-même, ne soit pas plus tenté de rendre l’affaire publique ; son aplomb fait voir toute sa détermination à ne jamais avouer qu’il a volé le fromage, ce qui met en lumière la difficulté de prouver le délit ; il va jusqu’à ordonner au corbeau de bien retenir l’épilogue (« Apprenez… »). C’est donc suite à une intimidation physique et verbale que le corbeau sonné (cf « confus ») s’est résigné à ne pas vouloir se révolter contre son voleur, et que, de fait, il a pris le parti de transformer le vol dont il a été victime en un dessaisissement toléré ; s’il tire de l’événement une leçon pour lui-même (« on ne l’y prendrait plus »), il se garde de mettre en cause le renard, apparemment irréprochable et somme toute respectable.
Cette Fable accompagnée de La Cigale et La Fourmi, je les récitais tous les jours à l'élémentaire...Quel beau souvenir, de mon enfance tchadienne!
Nouveau lien :
http://sonnets-de-cochonfucius.lescigales.org/tordus.html
magnifique
Le rapace et le fromage
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Plus fort qu’un corbeau, le rapace
Vole un fromage quand il passe,
Puis au renard qui le salue
Répond un truc qui le dépasse.
Magister Corax
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Il vit d’amusement, non de mélancolie,
C’est un gros volatile en parfaite santé ;
Il voit son avenir avec sérénité,
Car il prend chaque jour des leçons de folie.
Il n’a jamais de luth ni de tour abolie,
À l’aigle il ne veut point ravir la royauté ;
Corbeau de poésie, corbeau d’oisiveté
Qui baigne dans la rime et la prose jolie.
Il ne s’est jamais pris pour un prince charmant,
Jamais n’est allé voir la Belle au bois dormant,
Laissant se succéder les jours et les semaines.
Corbeau qui sous son crâne abrite un univers
Où l’on peut rencontrer le bonheur et la peine,
Tels que je ne saurais le dire en quelques vers.
La fable de Jean La Fontaine de Corbeau et Renard doit nous aider dans beaucoup de choses. tant dans la vie professionnelle et dans nos relations que nous entretenons avec nos proches.
la Republique Centrafricaine en soit tres reconnaissante pour cette fable.
c'est de cette inspiration que l'empereur Bokassa utilisait pour diriger le pays de son epoque.
Le dieu-corbeau et le démon-renard
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Le fils du charpentier, sur sa croix accroché,
Tenait entre ses dents le salut de ce monde.
Le prince Lucifer, par le sang alléché,
Vint voir cette souffrance à nulle autre seconde.
Le crucifié trembla en voyant s’approcher
Le dragon ricanant aux manières immondes,
Qui lui dit : « Mon cousin, Dieu est-il si fâché
Que vous mouriez ici et que l’orage gronde ? »
Oubliant qu’il fallait surtout serrer les dents,
Le crucifié lui parle, et, de ce fait, perdant
Les âmes dont il fut pour un temps le refuge,
Les laisse dévorer par Maître Lucifer,
Qui, le ventre bien plein, s’en retourne aux enfers,
Souriant de lui-même, et de son subterfuge.
Le dieu Blaireau et le démon Goupil
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-- Renard, tu ne fais que tricher,
Tu veux arnaquer tout le monde ;
Avec moi, tu peux t’accrocher,
Je n’ai pas un cerveau de blonde.
-- Blaireau, tu es mal embouché !
Tu me prends pour un être immonde ;
Mais je ne vais pas me fâcher,
Même si ma peine est profonde.
-- Tu veux tu t’en sortir en plaidant,
Tu crois que j’y serai perdant ?
Démon rusé, tu te berlures.
-- Moi, j’ai su tromper Lucifer
Pour ne pas aller en enfer ;
D’un pigeon je n’ai point l’allure.
Le roi Renard
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« Mes braves sujets, approchez :
Je suis le meilleur roi du monde ;
Je suis ferme comme un rocher
Et doux comme une bière blonde. »
Quelques corbeaux effarouchés
Captèrent de mauvaises ondes ;
Ils allèrent donc se cacher
Dans une caverne profonde.
« Qu'importent ces oiseaux pédants,
Ces râleurs, ces mauvais perdants !
Qu'importe leur retraite obscure ! »
Le roi sur son trône de fer
Avait une pêche d'enfer,
Tout en ne manquant pas d'allure.