Lazare
À Leconte de Lisle.
À la voix de Jésus, Lazare s’éveilla ;
Livide, il se dressa debout dans les ténèbres ;
Il sortit tressaillant dans ses langes funèbres,
Puis, tout droit devant lui, grave et seul, s’en alla.Seul et grave, il marcha depuis lors dans la ville,
Comme cherchant quelqu’un qu’il ne retrouvait pas,
Et se heurtant partout à chacun de ses pas
Aux choses de la vie, à la plèbe servile.Sous son front reluisant de la pâleur des morts
Ses yeux ne dardaient pas d’éclairs ; et ses prunelles,
Comme au ressouvenir des splendeurs éternelles,
Semblaient ne pas pouvoir regarder au dehors.Il allait, chancelant comme un enfant, lugubre
Comme un fou. Devant lui la foule s’entr’ouvrait.
Nul n’osant lui parler, au hasard il errait,
Tel qu’un homme étouffant dans un air insalubre.Ne comprenant plus rien au vil bourdonnement
De la terre ; abîmé dans son rêve indicible ;
Lui-même épouvanté de son secret terrible,
Il venait et partait silencieusement.Parfois il frissonnait, comme pris de la fièvre,
Et comme pour parler, il étendait la main ;
Mais le mot inconnu du dernier lendemain,
Un invisible doigt l’arrêtait sur sa lèvre.Dans Béthanie, alors, partout, jeunes et vieux
Eurent peur de cet homme ; il pasait seul et grave ;
Et le sang se figeait aux veines du plus brave,
Devant la vague horreur qui nageait dans ses yeux.Ah ! Qui dira jamais ton étrange supplice,
Revenant du sépulcre où tous étaient restés,
Qui revivais encor, traînant dans les cités
Ton linceul à tes reins serré comme un cilice !Pâle ressuscité qu’avaient mordu les vers !
Pouvais-tu te reprendre aux soucis de ce monde,
Ô toi qui rapportais dans ta stupeur profonde
La science interdite à l’avide univers ?La mort eut-elle à peine au jour rendu sa proie,
Dans l’ombre tu rentras, spectre mystérieux,
Passant calme à travers les peuples furieux,
Et ne connaissant plus leur douleur ni leur joie.Dans ta seconde vie, insensible et muet,
Tu ne laissas chez eux qu’un souvenir sans trace.
As-tu subi deux fois l’étreinte qui terrasse,
Pour regagner l’azur qui vers toi refluait ?- Oh ! Que de fois, à l’heure où l’ombre emplit l’espace,
Loin des vivants, dressant sur le fond d’or du ciel
Ta grande forme aux bras levés vers l’éternel ;
Appelant par son nom l’ange attardé qui passe ;Que de fois l’on te vit dans les gazons épais,
Seul et grave, rôder autour des cimetières,
Enviant tous ces morts qui dans leurs lits de pierres
Un jour s’étaient couchés pour n’en sortir jamais !
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Léon DIERX
Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912, est un poète parnassien et peintre académique français. Léon Dierx naît dans la villa de Saint-Denis aujourd’hui appelée villa Déramond-Barre, que son grand-père a rachetée en 1830. Il y vit jusqu’en 1860, année de son... [Lire la suite]
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