L’Aube romantique
A Charles Asselineau
Mil huit cent trente! Aurore
Qui m’éblouis encore,
Promesse du destin,
Riant matin!Aube où le soleil plonge!
Quelquefois un beau songe
Me rend l’éclat vermeil
De ton réveil.Jetant ta pourpre rose
En notre ciel morose,
Tu parais, et la nuit
Soudain s’enfuit.La nymphe Poésie
Aux cheveux d’ambroisie
Avec son art subtil
Revient d’exil;L’Ode chante, le Drame
Ourdit sa riche trame;
L’harmonieux Sonnet
Déjà renaît.Ici rugit Shakspere,
Là Pétrarque soupire;
Horace bon garçon
Dit sa chanson,Et Ronsard son poëme,
Et l’on retrouve même
L’art farouche et naïf
Du vieux Baïf.Tout joyeux, du Cocyte
Rabelais ressuscite,
Pour donner au roman
Un talisman,Et l’amoureuse fièvre
Qui rougit notre lèvre
Défend même au journal
D’être banal!La grande Architecture,
Prière sainte et pure
De l’art matériel,
Regarde au ciel;La Sculpture modèle
Des saints au coeur fidèle
Pareils aux lys vêtus
De leurs vertus,Et la Musique emporte
Notre âme par la porte
Des chants délicieux
Au fond des cieux.O grand combat sublime
Du Luth et de la Rime!
Renouveau triomphal
De l’Idéal!Hugo, sombre, dédie
Sa morne tragédie
Aux grands coeurs désolés,
Aux exilés,A la souffrance, au rêve.
Il embrasse, il relève
Et Marion, hélas!
Et toi, Ruy Blas.Et déjà, comme exemple,
David, qui le contemple,
Met sur son front guerrier
Le noir laurier.George Sand en son âme
Porte un éclair de flamme;
Musset, beau cygne errant,
Chante en pleurant;Balzac, superbe, mène
La Comédie Humaine
Et nous fait voir à nu
L’homme ingénu;Pour le luth Sainte-Beuve
Trouve une corde neuve;
Barbier lance en grondant
L’Iambe ardent;La plainte de Valmore
Pleure et s’exhale encore
En sanglots plus amers
Que ceux des mers,Et, sur un mont sauvage,
L’Art jaloux donne au sage
Théophile Gautier
Le monde entier.En ces beaux jours de jeûne,
Karr a plus d’amour jeune
Qu’un vieux Rothschild pensif
N’a d’or massif;De sa voix attendrie
Gérard dit la féerie
Et le songe riant
De l’Orient;Les Deschamps, voix jumelles,
Chantent: l’un a des ailes,
L’autre parle à l’écho
De Roméo.Frédérick ploie et mène
En tyran Melpomène,
Et la grande Dorval
L’a pour rival;Berlioz, qui nous étonne,
Avec l’orage tonne,
Et parle dans l’éclair
A Meyerbeer;Préault, d’un doigt fantasque,
Fait trembler sur un masque
L’immortelle pâleur
De la Douleur,Tandis qu’à chaque livre
Johannot, d’amour ivre,
Prête un rêve nouveau
De son cerveau.Pour Boulanger qui l’aime,
Facile, et venant même
Baiser au front Nanteuil
Dans son fauteuil,La Peinture en extase
Donne la chrysoprase
Et le rubis des rois
A Delacroix.Daumier trouve l’étrange
Crayon de Michel-Ange,
–Noble vol impuni!–
Et GarvaniCourt, sans qu’on le dépasse,
Vers l’amoureuse Grâce
Qu’à l’Esprit maria
Devéria!Mais, hélas! où m’emporte
Le songe! Elle est bien morte
L’époque où nous voyions
Tant de rayons!Où sont-ils? les poëtes
Qui nous faisaient des fêtes,
Ces vaillants, ces grands coeurs,
Tous ces vainqueurs,Ces soldats, ces apôtres?
Les uns sont morts. Les autres,
Du repos envieux,
Sont déjà vieux.Leur histoire si grande
N’est plus qu’une légende
Qu’autour du foyer noir
On dit le soir,Et ce collier illustre,
Qu’à présent touche un rustre,
Sème ses grains épars
De toutes parts.Hamlet qu’on abandonne
Est seul et sans couronne
Même dans Elseneur:
Adieu l’honneurDe l’âge romantique;
Mais de la chaîne antique
Garde-nous chaque anneau,
Asselineau!Comme le vieil Homère
Savamment énumère
Les princes, les vassaux
Et leurs vaisseaux,Redis-nous cette guère!
Les livres faits naguère
Selon le rituel
De Renduel,Fais-les voir à la file!
Jusqu’au Bibliophile
Montrant page et bourrel,
Jusqu’à Borel;Car tu sais leur histoire
Si bien que ta mémoire
N’a pas même failli
Pour Lassailly.Donc, toi que je compare
Au Héraut, qui répare
Le beau renom des vers
Par l’univers,Dis-nous Mil huit cent trente,
Époque fulgurante,
Ses luttes, ses ardeurs
Et les splendeursDe cette apocalypse,
Que maintenant éclipse
Le puissant coryza
De Thérésa!Car il est beau de dire
A notre âge en délire
Courbé sur des écus:
Gloire aux vaincus.Envahi par le lierre,
Le château pierre à pierre
Tombe et s’écroule; mais
Rien n’a jamaisDompté le fanatisme
Du bon vieux romantisme,
De ce Titan du Rhin
Au coeur d’airain.21 juillet 1866.
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