Poème 'La voix' de Charles BAUDELAIRE dans 'Les Fleurs du Mal'

La voix

Charles BAUDELAIRE
Recueil : "Les Fleurs du Mal"

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio.
Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme,
Disait : « La Terre est un gâteau plein de douceur ;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !)
Te faire un appétit d’une égale grosseur. »
Et l’autre : « Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu ! »
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,
Qui caresse l’oreille et cependant l’effraie.
Je te répondis : « Oui ! douce voix ! » C’est d’alors
Que date ce qu’on peut, hélas ! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors
De l’existence immense, au plus noir de l’abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c’est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J’aime si tendrement le désert et la mer ;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes :
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ! »

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Commentaires

  1. Le crocodile jaune a dit : "Soyez fidèles
    A Dieu, à votre femme et à votre nation".
    Je lui ai répondu : "C'est une aberration,
    Car la fidélité, c'est pour les hirondelles."

    Le crocodile mauve a dit : "La vie est belle,
    Faites-en chaque jour une célébration."
    Je lui ai répondu : "De ton affirmation,
    Je retiens simplement qu'elle n'est pas nouvelle".

    Le crocodile orange apprécie l'abstinence,
    Le crocodile rose, une humble transcendance.
    Alors, je leur ai dit : "Faites ça entre vous".

    Le crocodile rouge aime les vers stupides,
    Je lui dis : "Grâce à Dieu, c'est un plaisir limpide
    Que partagent le sage et son cousin le fou."

  2. ça me fait penser que j'avais pondu une suite de poèmes dont voici le début :

    Un crocodile aux dents d'or
    Se promène sur le port
    Une cigarette au bec
    Un pattalon trop large

    Il a perdu son amie
    Dans un bibliobus urbain
    Et il noie son chagrin
    Dans des larmes de crocodile
    Comme d'autres font
    Avec les chatons
    Indésirés
    Dans le lait pasteurisé

    On se moque de lui parce qu'il a les dents jaunes

    Il pleure sur la société de consommation
    Il faut bien pleurer sur quelque chose
    En fait il en a rien à branler
    Il sait que ça le mettra en portefeuille
    Où l'on rangera ses dents d'or
    Bien proprement
    Après sa mort

    Le crocodile aux dents d'or
    Est entré dans un supermarché
    A planté ses dents dans la peau d'une caissière
    Et laissant en pourboire une vieille mollaire
    Ressort en emportant
    Un portefeuille en imitation

    II

    Le crocodile aux dents d'or
    Se brosse les dents chaque matin
    Avec une brosse à reluire
    Et se les rebrosse chaque soir
    Avec une brosse à chiendent

  3. Les beaux esprits se rencontrent !

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