La Visite
Moi mouchard ?… oui, madame Phaïlle,
Comme on Vous nomme dans l’endroit,
Que Tu ravis avec ta taille,
Où tu prends du bout d’une paille,
Au temps chaud, ton sorbet… très froid.À l’Ictinus ! près de la place
Et du palais de Médicis,
Tu t’asseyais, pâle, un peu lasse ;
Et ta grenadine à la glace
Souriait, rose, à mon cassis.Beau café ; terrasse ; pratique
Chère aux chanteurs du vieux Faubourg ;
À proximité fantastique
De l’Odéon ; vue artistique
Sur les arbres du Luxembourg.Je disais ? ah !… ceci, Madame,
Que s’il est un pauvre mouchard
Sur la galère noire où rame
L’esclave du Paris infâme,
Sans l’excuse d’être pochard,C’est moi, je n’en connais pas d’autre,
Chefs ni roussins. C’est entendu.
Ah ! si ! j’en connais un… l’apôtre…
Ô catholiques, c’est le nôtre ;
Oui, le seul… qui se soit pendu.Nul n’a ramassé son nom sale ;
L’amour n’a plus redit ce nom.
La chose était trop… colossale !
Qu’un père appelle… Élagabale
Son fils… à la rigueur… mais… non.Ah ! Madame ! que ça de fête !
J’en connais un second : Javert.
Le Javert chéri du poète,
Qui dit la messe… avec sa tête !
Triste prêtre du bonnet vert !Mais ça vous pose ! on vous renomme
Chez les gueux et chez les richards !
On croit troubler le pape à Rome !
Et ça fait de vous un grand homme,
Vénéré de tous les mouchards.Mon Javert, dit-il, est honnête.
Honnête ! où vas-tu te fourrer ?
Ce n’est pas sublime, c’est bête :
Autant contempler la lunette
Où le trou du cul vient pleurer.Un mouchard, mais ça vend son âme !
Comment, son âme ! son ami !
Ça vendrait son fils ; une femme !
Pourquoi non ? C’est dans… le programme,
On n’est pas honnête à demi.Ça vendrait n’importe laquelle
D’entre les femmes d’à présent !
Quand je songe que la séquelle
Pourrait t’effleurer de son aile
Ne serait-ce qu’en te rasant,Comme Éole, qui souffle et cause
Des ravages dans le faubourg
Où, la nuit, Montmartre repose,
Peut importuner une Rose
Dans le jardin du Luxembourg ;Moins : comme le zéphir, qui rôde,
Vent, on peut dire, un peu balourd,
Mais bon zouave, allant en maraude,
Peut froisser la Fleur la plus chaude
Des plus blanches du Luxembourg ;Moins : comme une anthère blessée
Par la brise folle qui court,
Sa chemisette retroussée,
Peut entêter une Pensée
La plus belle du Luxembourg.Moins : comme la vergue cassée
D’un marin, retour de Cabourg,
Fier de sa flotte cuirassée,
Fait se tourner une Pensée
Vers le bassin du Luxembourg ;Moins : comme une vesce élancée
Par une bague de velours,
Lui fichant sa douce fessée,
Distrait la plus sage Pensée
De l’un et l’autre Luxembourgs ;Rien que ça ! ce serait la pire
Des injustices envers Toi.
Il est minuit, je me retire.
D’ailleurs, j’ai quelque chose à dire
Au Préfet de Police, moi.Toi, toutes les femmes sont bonnes,
Tu m’entends ; seules, ou par deux ;
N’appartenant qu’à leurs personnes ;
Quant à tes mouchards… ces colonnes ?
Dis plutôt… ces bâtons merdeux,Tu vas tous les foutre à la porte ;
Mais, en assurant leurs vieux jours ;
Jusqu’à l’heure où le char emporte,
La dernière… retraite… morte,
Et laisse faire les amours.Ce sont tes pieds ? Chacun y pisse.
Honneur aux pieds estropiés !
Mais les tiens ! tu sais où ça glisse !
Donc… mon beau Préfet de Police,
Laisse-moi… te laver les pieds…Assieds-toi ; jette au feu ta honte,
Au vent tous tes affreux papiers !
Fais remplir un bassin en fonte ;
Comme les pieds des douze, compte…
Laisse-moi… te laver les pieds…Tes pieds aussi noirs que la suie,
Comme moi-même je les eus,
Baignant dans les eaux de sa pluie,
Et souffre que je les essuie
Avec le linge de JÉSUS.
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Germain NOUVEAU
Germain Marie Bernard Nouveau, né le 31 juillet 1851 à Pourrières (Var) où il est mort le 4 avril 1920, est un poète français. Il est l’aîné des 4 enfants de Félicien Nouveau (1826-1884) et de Marie Silvy (1832-1858). Germain Nouveau perd sa mère alors qu’il n’a que sept ans. Il est élevé par son... [Lire la suite]
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