La Vierge
Quand l’œil fit autrefois éclosion sur terre
Dans un frêle organisme encor rudimentaire ;
Quand le premier regard de l’atome vivant,
D’un seul coup jusqu’au fond du ciel vide arrivant,
Découvrit le soleil plus vite qu’il n’éclaire,
Et depuis lors gardant comme un feu similaire,
Énigme clairvoyante au bord d’un embryon,
Ébloui, se tourna vers la formation ;
Quand ce rayon qu’un souffle intérieur active,
Perçant l’énormité de la nuit primitive,
Se promena, reflet conscient, à travers
Le secret d’un aveugle et splendide univers ;
Ô pics échelonnés ! ô forêts monstrueuses !
Ô fleuves ! lacs ! vallons ! ô mers tumultueuses !
Formes qui sous l’éclat des couleurs palpitez !
Vous tous, œuvres des temps et des affinités,
Plaines en fleurs, déserts, plages ou promontoires,
Spectacles merveilleux ! Qui dans vos propres gloires,
Et transmués sans fin par un désir obscur,
Rouliez, tels que dans l’ombre opaque, sous l’azur !
Membres de la déesse unique et sans apôtre,
Avez-vous tressailli d’un hémisphère à l’autre ?
Ô nature ! Miracle à toi-même caché,
As-tu senti le bas de ton manteau touché
Par quelque avant-coureur d’un dieu qui va paraître,
À la fois ton amant, ton chantre et ton vrai maître ?
Et quand l’homme apparut, plein d’extase, emplissant
Avec ses yeux son âme et son crâne puissant,
Ô fille du mystère où le mystère émerge !
N’as-tu pas tout entière alors, sublime vierge !
Frémi profondément d’angoisse et de fierté,
Sentant tomber ton voile et briller ta beauté ?
Non ! L’éternelle horreur d’être sans but ni causes
Fait seule tes frissons dans tes métempsycoses !
Tes images, tes bruits, tes parfums, tes saveurs,
Tout cet enchantement de nos esprits rêveurs,
Production des sens, n’est qu’un songe qui passe,
Et qui mourra comme eux, emportant dans l’espace
Ou rendant à te sourds, noirs et muets travaux
La chimère des cœurs et l’effort des cerveaux !
Non ! Ton voile est tombé, tu restas l’insensible,
L’inerte fiancée, et la vierge invincible
Que le profanateur s’épuise à violer !
Non ! Non ! Tu resplendis, sans lui rien révéler
Que la stérilité de ta force infinie
Et le néant d’ouvrir même en toi son génie !
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Léon DIERX
Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912, est un poète parnassien et peintre académique français. Léon Dierx naît dans la villa de Saint-Denis aujourd’hui appelée villa Déramond-Barre, que son grand-père a rachetée en 1830. Il y vit jusqu’en 1860, année de son... [Lire la suite]
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire