La Tortue et les deux Canards
Une Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterez
Des différentes moeurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.
La Tortue enlevée on s’étonne partout
De voir aller en cette guise
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.
Miracle, criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
- La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d’un lignage.
Poème préféré des membres
ecnaida a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Commentaires
Rédiger un commentaire
Jean de LA FONTAINE
Jean de La Fontaine, né le 8 juillet 1621 à Château-Thierry, est un poète français de la période classique dont l’histoire littéraire retient essentiellement « les Fables » et dans une moindre mesure les contes licencieux. On lui doit cependant des poèmes divers, des pièces de théâtre et des livrets... [Lire la suite]
- Le Vieillard et ses Enfants
- Les Membres et l'Estomac
- L'Aigle, la Laie, et la Chatte
- Le Chien qui porte à son cou le dîné de...
- Les Frelons et les Mouches à miel
- Le Mal Marié
- L'Ane chargé d'éponges, et l'Ane chargé...
- Le Rat qui s'est retiré du monde
- Le Lion et le Moucheron
- La Génisse, la Chèvre, et la Brebis, en...
Les animaux du monde étant désemparés
Par un fléau mortel, usèrent d'artifice
Pour savoir qui d'entre eux mourrait en sacrifice.
Chacun devrait sur l'heure une blague narrer
A Madame Tortue, pour la faire marrer.
Si la tortue riait, on aurait bénéfice
De la vie ; de périr, sinon, par les offices
D'un bourreau qui, dans l'ombre, était là, préparé.
L'éléphant raconta. Point de rire. Il mourut.
Or, plus d'un animal après lui disparut,
Car la tortue, toujours, restait imperturbable.
Quand vint le tour du singe, il tremblait de frayeur.
L'écoutant, la tortue s'esclaffa de bon coeur :
« Celle de l'éléphant! Elle était ! Impayable ! »