La Ruine
À Auguste Villiers de L’Isle-Adam.
L’esprit mystérieux au vague ou bref chemin
Qui par moments nous prête un regard surhumain,
Le rêve, m’a montré ce que n’a vu personne :
C’était, sous un air lourd qui jamais ne frissonne,
Un continent couvert d’arbres pétrifiés,
Si puissants, que jadis lorsque vous triomphiez,
Vieux chênes ! Auprès d’eux vos chefs les plus robustes
Et les plus hauts à peine auraient fait des arbustes.
D’énormes ossements perçaient de tous côtés,
Pareils à de grands rocs affreux qu’auraient sculptés
De durs géants jaloux du féroce prodige
De la création à son premier vertige ;
Et c’était quelque part, aux confins ignorés
De la terre, ou peut-être au fond des flots sacrés ;
Et le plus effrayant de ce monde effroyable
C’était, au centre et hors des épaisseurs du sable,
Un temple ruiné, mais colossal encor
Mille fois plus que ceux de Karnak et d’Angkor !Des escaliers sans fin, portant des avenues
De monstres, s’étageaient, s’écroulaient dans les nues
Dont ils semblaient former le lit torrentiel ;
Des arches d’un seul bloc aux largeurs d’arc-en-ciel
Se croisaient, unissant des porches, des colonnes,
Tels que n’en ont jamais conçu les Babylones,
Et s’élevaient toujours, toujours, sous des monceaux
Démesurés de tours, de portiques, d’arceaux,
De chapiteaux massifs où des bêtes hybrides
Sur leurs trompes en l’air tenaient des pyramides.
Des frontons d’une lieue allaient se prolongeant ;
Des portes toutes d’or dans des murs tout d’argent
Étincelaient parmi des Alpes de décombres ;
Des abîmes de nuit s’engouffraient sous les ombres ;
Et partout, jusqu’au faîte, un million de dieux
Enveloppés ou nus, aveugles ou pleins d’yeux,
Noirs et ramifiés comme des madrépores,
Ou sans bras, éclatants comme des météores,
Debout, assis en cercle, accroupis ou rampants,
Enfouis jusqu’au ventre ou restés en suspens,
Horribles, couronnés de forêts en spirales,
Ou de mitres ayant l’ampleur des cathédrales,
Pullulaient, remplissant de leurs difformités
Les quatre sections des cieux épouvantés.
Et bien avant Babel, bien avant l’Atlantide,
C’était l’œuvre fameuse et la cariatide
D’un orgueil qui bouillonne avec le globe entier,
Bâtie avec le sang des vaincus pour mortier ;
La merveille des jours plus lointains que cet âge
Dont la fable cherchait le confus héritage ;
Et des siècles de vie où la douleur hurla,
Toute une formidable histoire dormait là,
Du haut en bas gravée en langue originelle
Sur le bronze inusable et la pierre éternelle,
Au fond de l’invisible et du silence, au fond
De l’oubli, derniers dieux en qui tout se confond.
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Léon DIERX
Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912, est un poète parnassien et peintre académique français. Léon Dierx naît dans la villa de Saint-Denis aujourd’hui appelée villa Déramond-Barre, que son grand-père a rachetée en 1830. Il y vit jusqu’en 1860, année de son... [Lire la suite]
Piaf-Tonnerre en Atlantide
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Tant d'arbres engloutis, agitant leurs rameaux !
Ce sont ceux qui croissaient dans la verte Atlantide.
À leurs pieds sont posés des squelettes livides
Oublieux de Bacchus et d'Eros, son jumeau.
Le froid rayonnement d'atlantiques émaux
Ne trouble point des morts l'éternité limpide ;
De très petits poissons passent près d'eux, rapides,
Et, saisis de respect, ne disent pas un mot.
Les atlantes palais ne sont plus que décombres ;
Le calcaire blanchi se meurt sous l'algue sombre.
L'océan a brisé le couvercle poli
D'un massif sarcophage, et l'a rempli de sable.
Une stèle proclame, en langage aboli :
« Notre mode de vie se veut impérissable ».
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