La prière du mort
Arrête ! Ecoute-moi, voyageur. Si tes pas
Te portent vers Cypsèle et les rives de l’Hèbre,
Cherche le vieil Hyllos et dis-lui qu’il célèbre
Un long deuil pour le fils qu’il ne reverra pas.Ma chair assassinée a servi de repas
Aux loups. Le reste gît en ce hallier funèbre.
Et l’Ombre errante aux bords que l’Érèbe enténèbre
S’indigne et pleure. Nul n’a vengé mon trépas.Pars donc. Et si jamais, à l’heure où le jour tombe,
Tu rencontres au pied d’un tertre ou d’une tombe
Une femme au front blanc que voile un noir lambeau ;Approche-toi, ne crains ni la nuit ni les charmes ;
C’est ma mère, Étranger, qui sur un vain tombeau
Embrasse une urne vide et l’emplit de ses larmes.
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José-Maria de HEREDIA
José-Maria de Heredia (né José María de Heredia Girard 1842-1905) est un homme de lettres d’origine cubaine, naturalisé français en 1893. En tant que poète, c’est un des maîtres du mouvement parnassien, véritable joaillier du vers. Son œuvre poétique est constituée d’un unique recueil, « Les... [Lire la suite]
Un dragon voit un requin
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C'est un dragon d'argent qui danse, à petits pas,
Au grand ciel de sinople où vient une aube claire ;
Une hirondelle chante, et son coeur s'accélère,
Mais pour quelle raison ? Ce coeur ne le sait pas.
C'est un requin d'argent qui cherche son repas ;
N'écoutant pas l'oiseau, dont son coeur n'a que faire,
Il promène sous l'eau son regard mortifère,
Accompli prédateur, image du trépas.
Ces deux seigneurs pourront, avant que la nuit tombe,
Échanger un salut auprès des grises tombes,
À l'heure où l'on entend la voix d'un vieux corbeau.
Ils se craignent l'un l'autre, ils baisseront les armes :
Du sombre cimetière, ils goûteront le charme,
Car l'on devient poète, assis sur un tombeau.
Que les loups se vivent de vent
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Dans une plaine, un loup se déplace à grands pas,
Déplorant que le temps ne soit plus à la guerre ;
Il a fait son souper de trois rongeurs vulgaires,
Acceptant sa pitance, il ne la choisit pas.
Un corbeau, quant à lui, n’a pris pour tout repas
Qu’un malheureux insecte abrité sous la terre ;
Il aurait préféré la chair d’un militaire,
Un de ceux qui sourient quand survient leur trépas.
Sur ces deux affamés, une nuit d’hiver tombe ;
Au bois, chaque refuge est plus froid qu’une tombe,
Ayez pitié du loup et du sombre corbeau !
Mais ces deux vagabonds ne baissent pas les armes,
Sachant que reviendra le printemps qui les charme,
Et que jamais l’hiver ne les mit au tombeau.
Anthropocène
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La Lune voit l’humain progressant d’un bon pas,
Au hasard de la paix, au hasard de la guerre ;
Il invente la roue, ce primate vulgaire,
Il connaît le cosmos, il ne le comprend pas.
Il trinque avec la Lune aux heures des repas ;
Quand il a fait son temps, il dort avec la Terre ;
Il respecte la loi civile ou militaire,
Il écrit de beaux vers à propos du trépas.
La Lune monte au ciel quand la nuit d’hiver tombe,
Baignant de ses rayons les logis et les tombes
Ainsi que la clairière où dansent les corbeaux.
La Lune marche au ciel, l’homme fourbit ses armes ;
Chacun de ces deux-là trouve à l’autre du charme,
Nous les voyons prier au-dessus des tombeaux.
Léger bagage
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Un voyage lointain commence au premier pas,
Bienheureux le routard qui ne s’encombre guère ;
Satisfait de marcher, loin des plaisirs vulgaires,
Loin de tout ce confort qui ne lui manque pas.
Légère la boisson, bien frugaux les repas ;
Il n’est pas exigeant, ce marcheur solitaire ;
Mais il se sent chez lui sur la planète Terre,
Acceptant sa naissance ainsi que son trépas.
Un vespéral oiseau chante quand la nuit tombe,
Posé au cimetière où sont de grises tombes ;
On peut entendre aussi la voix d’un vieux corbeau.
De cet errant, la vie est un combat sans armes ;
Au quotidien effort il sait trouver du charme,
Il n’est donc point pressé d’aller dans un tombeau.
Voir
https://paysdepoesie.wordpress.com/2017/01/03/que-les-loups-se-vivent-de-vent/