La pluie
Enfin la haute Providence
Qui gouverne à son gré le temps,
Travaillant à notre abondance
Rendra les laboureurs contents :
Sus ! que tout le monde s’enfuie,
Je vois de loin venir la pluie,
Le ciel est noir de bout en bout
Et ses influences bénignes
Vont tant verser d’eau sur les vignes
Que nous n’en boirons point du tout.L’ardeur grillait toutes les herbes,
Et tel les voyait consumer
Qui n’eût pas cru tirer des gerbes
Assez de grain pour en semer.
Bref, la terre, en cette contrée,
D’une béante soif outrée,
N’avait souffert rien de pareil
Depuis qu’une audace trop vaine
Porta le beau fils de Climène
Sur le brillant char du soleil.Mais les dieux mettant bas les armes
Que leur font prendre nos péchés,
Veulent témoigner par des larmes
Que les nôtres les ont touchés :
Déjà, l’humide Iris étale
Son beau demi-cercle d’opale
Dedans le vague champ de l’air
Et, pressant mainte épaisse nue,
Fait obscurcir à sa venue
Le temps qui se montrait si clair.Ces pauvres sources épuisées
Qui ne coulaient plus qu’en langueur,
En tressaillent comme fusées
D’une incomparable vigueur ;
je pense, à les voir si hautaines,
Que les eaux de mille fontaines
Ont ramassé dedans ces lieux
Ce qui leur restait de puissance
Pour aller par reconnaissance
Au devant de celles des cieux.Payen, sauvons-nous dans ta salle
Voilà le nuage crevé ;
O, comme à grands flots il dévale !
Déjà, tout en est abreuvé.
Mon Dieu ! Quel plaisir incroyable !
Que l’eau fait un bruit agréable
Tombant sur ces feuillages verts !
Et que je charmerais l’oreille
Si cette douceur non pareille
Se pouvait trouver en mes vers !Çà, que l’on m’apporte une coupe :
Du vin frais, il en est saison ;
Puisque Cérès boit à la troupe,
Il faut bien lui faire raison !
Mais non pas avec ce breuvage
De qui le goût fade et sauvage
Ne saurait plaire qu’aux sablons
Ou à quelque jeune pucelle
Qui ne but que de l’eau comme elle
Afin d’avoir les cheveux blonds.Regarde à l’abri de ces saules
Un pèlerin qui se tapit :
Le dégoût perce ses épaules
Mais il n’en a point de dépit.
Contemple un peu dans cette allée
Thibaut à la mine hâlée
Marcher froidement par compas ;
Le bonhomme sent telle joie
Qu’encore que cette eau le noie,
Si ne s’en ôtera-t-il pas.Vois déjà dans cette campagne
Ces vignerons tout transportés
Sauter comme genets d’Espagne
Se démenant de tous côtés ;
Entends d’ici tes domestiques
Entrecouper leurs chants rustiques
D’un fréquent battement de mains ;
Tous les coeurs s’en épanouissent
Et les bêtes s’en réjouissent
Aussi bien comme les humains.
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Marc-Antoine Girard, sieur de Saint-Amant, né à Grand-Quevilly le 30 septembre 1594 et mort à Paris le 29 décembre 1661, est un poète libertin français. Fils d’un officier de marine, issu d’une famille de marchands protestants, Saint Amant, qui commanda pendant vingt-deux ans une escadre anglaise, n’apprit pas les langues... [Lire la suite]
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