La Muse
Nymphe, qui guettes au passage
L’écolier du pays latin,
Assez laide pour être sage,
Quel mauvais sort te fit catin ?
Hélas, répond, un peu confuse,
La courtisane au bas crotté,
Vous voyez une pauvre Muse ;
Soyez heureux par charité !Ne riez pas, oui, de la Loire
J’égalais presque la Sapho ;
J’étais gentille, et l’auditoire,
Lorgnette en main, criait bravo.
D’un gros garçon et d’un poëme
J’enrichis la postérité.
Entre nous, le père est le même ;
Soyez heureux par charité !À Paris, un journaliste ivre
Prôna mes vers qu’il ne lut pas,
Ce monsieur, pour juger mon livre,
Avait feuilleté mes appas.
Quand, d’une main, le bon apôtre
Brochait l’article à mon côté,
Dieu sait ce qu’il faisait de l’autre !…
Soyez heureux par charité !Dans les salons je fus admise,
Mes conquêtes ont fait du bruit :
J’ai vu Lamartine en chemise
Et Byron en bonnet de nuit.
Sur mon sein traçant une épître,
En le baisant ils l’ont chanté.
Je mets en vente leur pupitre.
Soyez heureux par charité !Mais survint une maladie,
Adieu la gloire, adieu l’amour !
Il fallut tomber, enlaidie,
De lord Byron à lord Seymour.
Je n’ai d’autre espoir que l’hospice,
Seul un roman frais édité.
Pauvre Muse ! Dieu te bénisse !
Soyez heureux par charité !
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Commentaires
Rédiger un commentaire
Hégésippe MOREAU
Hégésippe Moreau est un écrivain, poète et journaliste français, né et mort à Paris (8 avril 1810 – 20 décembre 1838). Inscrit à l’état civil sous le nom de Pierre-Jacques Roulliot, il porte dès son enfance le nom de son père naturel et adopte le pseudonyme d’Hégésippe en publiant ses premiers vers à Paris en... [Lire la suite]
Célébration distraite
-------------------------
Buvons un coup au passage,
Les bars du Quartier Latin
Ne nous veulent point trop sages ;
Ou bien, juste le matin.
Buvons des vins de la Loire
Ou parfois des verres d’eau ;
Il n’est point question de gloire,
Chacun boit ce qu’il lui faut.
Il ne s’agit pas d’être ivres
(On ne nous aimerait pas !)
Mais bien d’être heureux de vivre
Et d’embellir nos repas.
Oubliez donc cette épître
Aussitôt son air chanté :
Rangez-la dans vos pupitres
Et buvez à ma santé.
Taverne forestière
----------
J’entends deux clients qui dissertent,
Un troisième en silence boit ;
La taverne au milieu des bois
Baigne dans leur lumière verte.
La table est de lin blanc couverte,
D’un oiseau résonne la voix ;
Je lis des rimes d’autrefois
Tout récemment redécouvertes.
L’endroit n’est certes pas maudit,
Qui nous tient lieu de paradis
Où nos âmes sont assouvies.
C’est pour notre nef un bon port,
Qui aux vents n’est plus asservie ;
C’est la source du réconfort.