La Lys
Lys tranquille, Lys douce et lente
Dont le vent berce, aux bords, les herbes et les plantes,
Vous entourez nos champs et nos hameaux, là-bas,
De mille et mille méandres,
Pour mieux tenir serrée, entre vos bras,
La Flandre.Et vous allez et revenez,
Sans angoisse et sans marée,
Automne, hiver, été, printemps ;
Et vous avez toujours le temps,
Comme les gens de nos contrées.Et votre cours s’en va vers les pauvres maisons
Et les hauts clochers blancs, dont les quatre abat-sons
Jettent vers le jour proche,
Chaque matin, la voix des cloches ;
Et les fermes et les jardins et les prés roux,
Dont vous baignez le bout,
Possèdent tous, pour venir jusqu’à vous,
Un escalier fait dans la terre ;
Et servantes et lavandières
En descendent les vacillants degrés de pierre,
Et l’on entend leurs voix chanter de clos en clos,
Et retentir, soudain, dans les hameaux,
L’écho,
Quand le bruit flasque et reversé de seaux
Tombe dans l’eau.Sur vos digues, tranquillement, au pied des saules,
Un vieux pêcheur têtu maintient, droite, sa gaule,
Bâton d’ombre, fixe et mouvant, sur les flots clairs ;
Des canards blancs, au bec jaune et lustré, s’avancent,
Voguent et tout à coup happent les cressons verts
Qui décorent les bords sinueux de vos anses.Et de rares chalands passent en vos lueurs,
De lents et lourds chalands traînés par les haleurs,
Dont la corde parfois à vos buissons s’accroche,
Tandis qu’au gouvernail, qu’il manoeuvre des reins,
Nonchalamment, la pipe aux dents, les mains en poches,
Le batelier s’appuie et fredonne un refrain.Lys tranquille et familiale,
On vous adore au fond des bourgs et des hameaux ;
Vous reflétez leurs deuils et côtoyez leurs maux,
Tout comme, aux temps joyeux, vous mirez dans vos eaux
Les cortèges, les guirlandes et les drapeaux
Des kermesses paroissiales.Et tout au loin, là-bas, entre Deynze et Courtrai,
Avec vos bras, vos poings, vos mains et vos doigts d’onde
Vous rouissez patiemment le lin sacré,
Vous, la plus souple ouvrière qui soit au monde ;
Et votre obscur labeur est si mystérieux,
Au fond du lourd limon, de la vase et des cendres,
Que nulle part ailleurs, sous la clarté des cieux
Ô Lys ! toile n’est blanche autant qu’en Flandre.Et vous groupez à vos côtés les humbles gens
Qui travaillent gaîment sur leurs métiers agiles,
Les fins tissus plus clairs que la neige et l’argent ;
Le tisserand, penché vers ses trames fragiles
Renoue adroitement les fils rompus et tors
Et le soleil qui glisse entre eux sa clarté nette,
Frappant le va-et-vient ailé de la navette,
La transforme au passage en brusque insecte d’or.Même aux jours noirs de deuil, de péril et de guerre,
Vous vous fîtes, Ô Lys, la sûre auxiliaire
Des vieux bourgeois flamands contre le roi français :
Vos eaux, pour les sauver inondèrent la plaine,
Et l’armée enlisa sa vengeance et sa haine
Dans le piège fangeux de vos marais secrets.Ainsi, Lys héroïque, utile, aimante et sage
Comme un mouvant bienfait vous frôlez les maisons,
Et vous vous attardez, en votre long voyage
Pour n’oublier personne au fond des horizons.
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Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
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