La lune est stérile
Lune, Pape abortif à l’amiable, Pape
Des Mormons pour l’art, dans la jalouse Paphos
Où l’État tient gratis les fils de la soupape
D’échappement des apoplectiques Cosmos !C’est toi, léger manuel d’instincts, toi qui circules,
Glaçant, après les grandes averses, les oeufs
Obtus de ces myriades d’animalcules
Dont les simouns mettraient nos muqueuses en feu !Tu ne sais que la fleur des sanglantes chimies ;
Et perces nos rideaux, nous offrant le lotus
Qui constipe les plus larges polygamies,
Tout net, de l’excrément logique des fœtus.Carguez-lui vos rideaux, citoyens de mœurs lâches ;
C’est l’Extase qui paie comptant, donne son Ut
Des deux sexes et veut pas même que l’on sache
S’il se peut qu’elle ait, hors de l’art pour l’art, un but.On allèche de vie humaine, à pleines voiles,
Les Tantales virtuels, peu intéressants
D’ailleurs, sauf leurs cordiaux, qui rêvent dans nos moelles ;
Et c’est un produit net qu’encaissent nos bons sens.Et puis, l’atteindrons-nous, l’Oasis aux citernes,
Où nos coeurs toucheraient les payes qu’on leur doit ?
Non, c’est la rosse aveugle aux cercles sempiternes
Qui tourne pour autrui les bons chevaux de bois.Ne vous distrayez pas, avec vos grosses douanes ;
Clefs de fa, clefs de sol, huit stades de claviers,
Laissez faire, laissez passer la caravane
Qui porte à l’Idéal ses plus riches dossiers !L’Art est tout, du droit divin de l’Inconscience ;
Après lui, le déluge ! et son moindre regard
Est le cercle infini dont la circonférence
Est partout, et le centre immoral nulle part.Pour moi, déboulonné du pôle de stylite
Qui me sied, dès qu’un corps a trop de son secret,
J’affiche : celles qui voient tout, je les invite
A venir, à mon bras, des soirs, prendre le frais.Or voici : nos deux Cris, abaissant leurs visières,
Passent mutuellement, après quiproquos,
Aux chers peignes du cru leurs moelles épinières
D’où lèvent débusqués tous les archets locaux.Et les ciels familiers liserés de folie
Neigeant en charpie éblouissante, faut voir
Comme le moindre appel : c’est pour nous seuls ! rallie
Les louables efforts menés à l’abattoir !Et la santé en deuil ronronne ses vertiges,
Et chante, pour la forme: « Hélas ! ce n’est pas bien,
« Par ces pays, pays si tournoyants, vous dis-je,
« Où la faim d’Infini justifie les moyens. »Lors, qu’ils sont beaux les flancs tirant leur révérence
Au sanglant capitaliste berné des nuits,
En s’affalant cuver ces jeux sans conséquence !
Oh ! n’avoir à songer qu’à ses propres ennuis !- Bons aïeux qui geigniez semaine par semaine,
Vers mon Cœur, baobab des védiques terroirs,
Je m’agite aussi ! mais l’Inconscient me mène ;
Or, il sait ce qu’il fait, je n’ai rien à y voir.
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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