Poème 'La couleur locale' de Jacques PRÉVERT dans 'Spectacle'

La couleur locale

Jacques PRÉVERT
Recueil : "Spectacle"

Comme il est beau ce petit paysage
Ces deux rochers ces quelques arbres
et puis l’eau et puis le rivage
comme il est beau
Très peu de bruit un peu de vent
et beaucoup d’eau

C’est un petit paysage de Bretagne
il peut tenir dans le creux de la main
quand on le regarde de loin
Mais si on s’avance
on ne voit plus rien
on se cogne sur un rocher
ou sur un arbre
on se fait mal c’est malheureux
Il y a des choses qu’on peut toucher de près
d’autres qu’il vaut mieux regarder d’assez loin
mais c’est bien joli tout de même
Et puis avec ça
le rouge des roses rouges et le bleu des bluets
le jaune des soucis le gris des petits gris
toute cette humide et tendre petite sorcellerie
et le rire éclatant de l’oiseau paradis
et ces chinois si gais si tristes et si gentils…
Bien sûr
c’est un paysage de Bretagne
un paysage sans roses roses
sans roses rouges
un paysage gris sans petit gris
un paysage sans chinois sans oiseau paradis
Mais il me plaît ce paysage-là
et je peux bien lui faire cadeau de tout cela
Cela n’a pas d’importance n’est-ce pas
et puis peut être que ça lui plaît
à ce paysage-là
La plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu’elle a
La plus belle fille du monde
je la place aussi dans ce paysage-là
et elle s’y trouve bien
elle l’aime bien
Alors il lui fait de l’ombre
et puis du soleil
dans la mesure de ses moyens
et elle reste là
et moi aussi je reste là
près de cette fille-là
A côté de nous il y a un chien avec un chat
et puis un cheval
et puis un ours brun avec un tambourin
et plusieurs animaux très simples dont j’ai oublié le nom
Il y a aussi la fête
des guirlandes des lumières des lampions
et l’ours brun tape sur son tambourin
et tout le monde dans une danse
tout le monde chante une chanson.

La couleur locale”, tiré du recueil “Spectacle” paru aux éditions Gallimard
© Fatras/ Succession Jacques Prévert, pour les droits audiovisuels et numériques

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Commentaires

  1. Armorique ancestrale
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    Les paysans bretons fredonnent un cantique
    En contemplant le ciel rougeâtre du Ponant.
    Les rochers autour d'eux, un décor étonnant,
    La mer dans les lointains, telle une mer antique.

    Non loin de leur taverne, on trouve un cimetière
    Dont les murs sont de roche, et non pas de béton :
    Les noms que l'on y voit sont presque tous bretons,
    La mousse vénérable a recouvert les pierres.

    Prévert leur offre un ours et un charmant poème !
    Pour le coup, c'est la fête, et le vin coule à flots.
    Chantons une chanson, mes braves matelots,
    Une chanson celtique, ainsi que je les aime.

  2. Fleur étonnante
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    Elle m’offre un parfum que je trouve incertain,
    Je ne déteste point cette odeur adoucie ;
    À son pied sont tombées quelques feuilles roussies,
    En ce lieu vient danser l’invisible lutin.

    Sa blancheur ne craint point la fraîcheur du matin,
    Ni le souffle du vent, ni les intempéries ;
    Le fier savant Linné la prit pour égérie,
    Lui donnant au passage un joli nom latin.

    La cloche fait ouïr sa voix dominicale ;
    Une abeille survient, en visite amicale,
    Aussitôt lui sera le clair nectar offert.

    L’avette en s’abreuvant dit une histoire leste ;
    C’est un conte à propos de bergères modestes
    Par lesquelles un prince a quelque peu souffert.

  3. Déclin d’Ysengrin
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    Le grand loup prend de l’âge et son poil devient gris,
    La louve le cajole et lui sourit encore ;
    Il lance dans la nuit des appels moins sonores,
    Mais de ses sentiments le flot n’est point tari.

    Des saveurs de la vie il est toujours épris,
    Et de celles surtout qu’en rêve l’on explore ;
    Aussi, de ces sonnets qu’un rimeur élabore,
    Même quand je lui dis qu’ils sont de peu de prix.

    L’inframonde l’attend, qui de démons fourmille,
    Je crois qu’il en fera sa nouvelle famille ;
    Il espère trouver d’autres loups en enfer.

    Lui qui ne fut jamais une bête rusée,
    D’aucun forfait majeur n’est son âme accusée ;
    Calme fut son automne, et calme est son hiver.

  4. Renard gris
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    Vêtu de fourrure cendrée,
    Du bois je me tiens à l’orée ;
    Moi qui ne fais rien de pervers,
    Je goûte ces ombrages verts.

    Victimes par moi capturées,
    Par qui serez-vous déplorées ?
    Qui vous consacrera des vers ?
    Toute médaille a son revers.

    Dès que ma faim fut assouvie,
    De tuer je n’eus plus envie ;
    Qu’importent deux rongeurs, ou trois ?

    Au nom des dieux, auxquels je crois,
    Nul malheur ne me laisse froid ;
    Je n’agis que pour ma survie.

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