La Corse
À Napoléon Thom, peintre.
—
C’est tout simplement un peintre, Monseigneur, qui
se nomme Romano, qui vit de larcins faits à la nature,
qui n’a d’autres armoiries que ses pinceaux…
SCHILLER, Fiesque, act. IILe maestral soufflait : la voûte purpurine
Brillait de mille feux comme une aventurine ;
Sur le bord expirait le chant des gondoliers ;
Un silence de mort planait sur ces campagnes.
Parfois, on entendait bien loin, dans les montagnes,
Les sifflements des bandouliers.La mer était houleuse ; et la vague plaintive
Se berçait, et rampait, et saluait la rive,
Comme ces flots de rois, tous abreuvés de fiel,
Saluaient le soldat fils de ce roc sauvage.— Un barde aurait pu dire au repos de la plage :
Que la terre écoutait le ciel !L’horizon s’appuyait sur l’immense muraille
De colline, de mont, de rocher, de rocaille,
Qui sur la Corse au loin s’étend comme un géant,
Depuis Bonifacio veillant sur la Sardaigne
Jusques à la Bastia qui dans la mer se baigne,
Et lève aux cieux un front d’argent.Tout dormait, se taisait : assis sur une pierre,
Auprès du seuil étroit de sa basse chaumière,
Un vigoureux chasseur, Viterbi le vieillard,
Homme doux dont le bras ne poignarda personne
Et dont la chevelure en blanchissant rayonne
Sous son bonnet de montagnard.Avant d’entrer au lit, en ce lieu solitaire,
Courbé sur son mousquet, les yeux fichés eu terre,
Il aspirait du soir l’air pur vivifiant ;
Quand un éclair lointain jetait su large flamme,
Comme un enfant à Dieu recommandant son âme,
Il signait son front suppliant.Tout à coup, il entend, se lève, écoute encore :
C’était un bruit de pas sur le chemin sonore.
— Qui vive ! garde à vous ! répondez ! — Un Français !Un ami ! — Malheureux ! si tard en cette gorge,
Sans armes ! l’étranger, veux-tu que l’on t’égorge ?
Est-ce la mort que tu cherchais ? —— Je suis un jeune peintre, et, sans inquiétude,
Je revenais du val où je fais une étude ;
Signer, je suis Français et non point étranger,
Je revenais sans peur ; la nuit rien ne m’arrête ;
Portant sous mon manteau pour tout bien ma palette,
Mon escarcelle est sans danger ! —— Sais-tu bien que le Corse a soif de la vengeance,
Et non pas soif de l’or ? Malheur à qui l’offense !
Si ta mort est jurée, il comptera tes pas ;
S’il le faut dans les bois, ainsi qu’une hyène,
Un mois il attendra que sa victime vienne
Pour se ruer sur son trépas.Puisque sans armes, seul, par cette route sombre
Tu marches, chante au moins, car peut-être dans l’ombre
Tu pourrais pour un autre être pris des brigands ;
Marche enchantant ces airs que mon âme aguerrie
A ton âge aimait tant, ces airs de ta patrie,
Hymnes funèbres des tyrans ? —Jeune, on ne saurait craindre, on rit de la prudence ;
Les avis d’un vieillard sont traités de démence :Le cœur bouillant de vie est si peu soucieux !
Aussi ce jeune peintre, à ce que l’on raconte,
En souriait tout bas, n’en tenant aucun compte,
Et s’éloigna silencieux.Mais tout près d’Oletta sa peur est éveillée :
Il entend quelque bruit. C’est, dit-il, la feuillée.
Mais une lame a lui parmi les oliviers ?…
Suis-je enfant de trembler ! c’est un follet qui passe,
Et ce long frôlement, et ce bruit de voix basse,
C’est le murmure des viviers. —A peine replongé dans quelque rêverie,
Il tomba sous le plomb d’une mousqueterie.
A son cri déchirant répond un rire affreux ;
Puis un homme accouru l’achève avec furie. —
Enfer ! qu’ai-je donc fait ? je me trompe de vie !
Ce n’est pas Viterbi le vieux ! —La rage dans le cœur, il brise son épée,
Et disparaît soudain sous la roche escarpée…
Le passant matinal ne vit le lendemain,
Qu’un manteau teint de sang, des lambeaux de peinture,
Des ossements rongés, effroyable pâture !
Un crâne épars sur le chemin.
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Petrus BOREL
Joseph-Pétrus Borel d’Hauterive, dit Pétrus Borel ou encore « le lycanthrope », né à Lyon, au 24, rue des Quatre Chapeaux, le 29 juin 1809 et mort à Mostaganem (Algérie) le 17 juillet 1859, est un poète, traducteur et écrivain français.
Pétrus Borel est le frère d’André Borel d’Hauterive, auteur d’un... [Lire la suite]
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