Poème 'La chapelle de Bethléem' de Louis-Honoré FRÉCHETTE dans 'Feuilles volantes'

La chapelle de Bethléem

Louis-Honoré FRÉCHETTE
Recueil : "Feuilles volantes"

Bien souvent je me la rappelle,
Dans son pli de coteaux boisés,
La vieille et rustique chapelle
Qui date du temps des Croisés!
Elle s’appuie, humble et petite,
Sur ses contreforts descellés,
Où des touffes de clématite
Brodent leurs festons étoilés.
Les grands chênes pleins de murmures
Où ronflent les vents assoupis,
De leur ombre et de leurs ramures
Caressent ses pans décrépits.
Elle est seule au bord de la route
Qui rampe le long du talus;
La chèvre errante y rôde et broute
Sur un seuil où l’on n’entre plus.
Çà et là, sur les pierres plates
De ses murs qu’effrite le temps,
Le chercheur découvre des dates
Vieilles de quatre fois cent ans.
À gauche, là, sous la corniche,
Au-dessus d’un bassin tari,
Derrière un treillis, dans sa niche,
Une statuette sourit.

Et la pastoure qui fredonne
Sa ballade au bord du chemin,
En passant devant la madone,
Pour se signer lève la main.

Oui, toujours je me la rappelle,
Avec ses combles ardoisés,
L’antique et modeste chapelle
Qui date du temps des Croisés.

Elle a ses contes, ses légendes,
Touchants ou sombres tour à tour,
Comme le vieux menhir des landes
Et le grand christ du carrefour.

Souvent la famille bretonne
Mêle son nom aux longs récits
Que les anciens, les soirs d’automne,
Font près de l’âtre aux murs noircis.

Et, pourtant, à nul auditoire
Charmé, tremblant ou curieux,
Nul n’a raconté ton histoire,
Petit temple mystérieux.
Quel que soit ce qu’on imagine,
Au fond des brumes du passé
Le secret de ton origine
Se perd à jamais effacé.

Pourquoi cet autel solitaire
Au bord de ce profond ravin?
Quelle est cette énigme, mystère
Que l’on cherche à sonder en vain?

Quelle pensée ou quel caprice,
Déroutant l’esprit confondu,
Te suspendit, frêle édifice,
Au flanc de ce coteau perdu?

Ex-voto de reconnaissance,
Parles-tu d’enfant retrouvé,
De deuil cruel, de longue absence,
Ou de retour longtemps rêvé?

Ton portique en pierre jaunâtre,
Qui l’a dessiné? qui l’a fait?
Foulons-nous ici le théâtre
De quelque tragique forfait?

Es-tu la tombe expiatoire
Où l’on vint pleurer à genoux
Quelque grand crime dont l’histoire
N’a pas retenti jusqu’à nous?
Et ce nom de Bethléem même,
Que dit-il? qui te l’a donné?
Plus on sonde et plus le problème
Garde son silence obstiné!

Mais, ô temple! à te mieux connaître
Qu’importe qu’on soit impuissant,
Si ton aspect pieux fait naître
Un espoir au coeur du passant!

Que tes murs tapissés de mousse
Gardent leur éternel secret;
Qu’importe, si ta vue est douce
Au pauvre voyageur distrait!

Jadis, fatigué de ma course,
Étranger égaré là-bas,
Au bord de ton antique source,
Souvent je suspendis mes pas.

Enivrement des solitudes!
Au seuil du vieux portail fermé,
L’aile des douces quiétudes
Rafraîchissait mon front calmé.

Adieu, chagrins et pensées sombres!
Je sentais – ô ravissement! -
Comme un essaim de chastes ombres
Penché sur mon isolement.
Et, quand vers la madone sainte
Mon regard montait plein d’émoi,
A ma lèvre expirait la plainte;
L’espoir se réveillait en moi.

Oh! c’est qu’alors – heures trop brèves! -
À travers l’espace incertain,
Un rêve, le plus saint des rêves,
M’emportait au foyer lointain.

Charme sacré de la prière,
Le temps plus vite s’écoula…
J’aime à retourner en arrière
Pour revivre ces moments-là!

Oui, souvent je me la rappelle,
Dans mes souvenirs apaisés,
La bonne petite chapelle
Qui date du temps des Croisés.

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Commentaires

  1. Chapelle sans dieu
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    Près du confessionnal est un cierge de cire
    Qui jadis entendit de belles oraisons ;
    C’est maintenant la voix d’un incube en délire
    Qui souvent fait frémir cette sainte maison.

    Lui qui aime invoquer la Déesse Raison
    Ou bien pondre un blasphème avec un grand sourire,
    Dont il produit parfois de grandes floraisons,
    Nous pouvons affirmer que c’est un triste sire.

    Il dit qu’il fut jadis le conseiller d’un roi,
    Qu’il sauva la nation, qu’il fit de grandes choses,
    Mais il est peu de gens pour y ajouter foi.

    Il rêve certains jours à son apothéose,
    À son voyage au ciel sur un nuage d’or,
    Il le raconte aux murs, il y songe, il s’endort.

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