La Blessée
A ma mère.
La blessée est contre un coussin
Trempé du sang de la blessure
Qu’elle porte au-dessous du sein.
Qu’elle est blanche! Le médecin
N’a pas un seul mot qui rassure.
Ceux qui l’aiment, disent: «Ce soir,
Sera-t-elle vivante ou morte?»
Les pauvres dont elle est l’espoir
Regardent au trou de la porte.Ô France, ainsi tes jours joyeux
Avaient fui dans la nuit profonde.
Ainsi nous avons cru tes yeux
A jamais fermés pour le monde.La blessée est sauvée et dort
Dans son lit blanc, tout amaigrie.
Elle a frôlé de près la mort;
On lui défend de parler fort,
On craint même qu’elle ne rie.
Mais dehors un vent attiédi
Verdit déjà les noires cimes.
Comme elle s’ennuie, à midi,
Des tisanes et des régimes!Ô France, ainsi tes jours joyeux
Avaient fui dans la nuit profonde;
Mais l’aube renaît et tes yeux
Se sont entr’ouverts sur le monde.La blessée enfin ce matin
A trompé sa garde-malade.
Elle part d’un pas incertain.
Elle a voulu sentir le thym
Dans ce sentier qu’elle escalade.
Ses bras ne sont plus si fluets.
Elle est plus forte. « Oh! la prairie! »
Elle cueille et met des bleuets
Dans ses cheveux. Elle est guérie!Ô France, ainsi tes jours joyeux
Avaient fui dans la nuit profonde.
Mais, voici le soleil! Tes yeux
Restent grands ouverts sur le monde.
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Charles CROS
Charles Cros, né à Fabrezan (Aude) le 1er octobre 1842, originaire d’une famille de Lagrasse (Aude) et mort à Paris le 9 août 1888, est un poète et inventeur français. Passionné de littérature et de sciences, il fut un temps, de 1860 à 1863, professeur de chimie à l’Institut parisien des Sourds-Muets, avant de se... [Lire la suite]
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