L’incantation du loup
Les lourds rameaux neigeux du mélèze et de l’aune.
Un grand silence. Un ciel étincelant d’hiver.
Le Roi du Hartz, assis sur ses jarrets de fer,
Regarde resplendir la lune large et jaune.Les gorges, les vallons, les forêts et les rocs
Dorment inertement sous leur blême suaire,
Et la face terrestre est comme un ossuaire
Immense, cave ou plat, ou bossué par blocs.Tandis qu’éblouissant les horizons funèbres,
La lune, oeil d’or glacé, luit dans le morne azur,
L’angoisse du vieux Loup étreint son coeur obscur,
Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.Sa louve blanche, aux yeux flambants, et les petits
Qu’elle abritait, la nuit, des poils chauds de son ventre,
Gisent, morts, égorgés par l’homme, au fond de l’antre.
Ceux, de tous les vivants, qu’il aimait, sont partis.Il est seul désormais sur la neige livide.
La faim, la soif, l’affût patient dans les bois,
Le doux agneau qui bêle ou le cerf aux abois,
Que lui fait tout cela, puisque le monde est vide ?Lui, le chef du haut Hartz, tous l’ont trahi, le Nain
Et le Géant, le Bouc, l’Orfraie et la Sorcière,
Accroupis près du feu de tourbe et de bruyère
Où l’eau sinistre bout dans le chaudron d’airain.Sa langue fume et pend de la gueule profonde.
Sans lécher le sang noir qui s’égoutte du flanc,
Il érige sa tête aiguë en grommelant,
Et la haine, dans ses entrailles, brûle et gronde.L’Homme, le massacreur antique des aïeux,
De ses enfants et de la royale femelle
Qui leur versait le lait ardent de sa mamelle,
Hante immuablement son rêve furieux.Une braise rougit sa prunelle énergique ;
Et, redressant ses poils roides comme des clous,
Il évoque, en hurlant, l’âme des anciens loups
Qui dorment dans la lune éclatante et magique.
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Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français. Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça... [Lire la suite]
Incantation du Crapaud
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Mon esprit est neigeux, c'est carrément la zone.
Un palotin me guide au vieux palais d'hiver.
Le roi Sargon, assis sur ses jarrets de fer,
Regarde resplendir un lavabo tout jaune.
Les vaches, les criquets, les forêts et les rocs
Dorment inertement sous leur blême suaire,
Et Leconte de Lisle invente un ossuaire
Immense, cave ou plat, ou bossué par blocs.
Tandis qu'éblouissant les horizons funèbres,
Le lavabo glacé luit dans le morne azur,
L'angoisse du vieux roi rend son esprit obscur,
Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.
Sa vache blanche, aux yeux flambants, et les petits
Lapins qui ne font rien qu'à se remplir le ventre
Éclusent du pinard mystique au fond de l'antre.
A la bouteille tierce, ils sont un peu partis.
Le roi médite seul sur la neige livide,
Au seuil de son palais où tout le monde boit.
Les grands criquets en fête ou la vache aux abois,
Que lui fait tout cela, puisque le monde est vide ?
Lui, roi de Milpodvash, se sent brusquement nain.
Au loin sonnent les voix de vingt buveurs de bière
Accroupis près du feu de tourbe et de bruyère
Où l'eau sinistre bout dans le chaudron d'airain.
Son esprit est neigeux et sa peine est profonde.
Dans son crâne résonne un poème à la flan
Dont il retouche un vers, parfois, en grommelant,
Le délire entre ses oreilles brûle et gronde.
Il se demande où sont les jours de nos aïeux,
Quand, faisant leur marché, d'énergiques femelles
Matraquaient un gendarme à grands coups de mamelles.
Il regrette son corps d'archange furieux.
On lui dit, à présent : Sois pas trop énergique !
Et lorsqu'il veut se battre, on lui répond Des clous !
Il est devenu chien, lui qui était un loup,
Buvant une potion qui n'a rien de magique.
Voir aussi
https://paysdepoesie.wordpress.com/2017/10/30/inconnu-comme-le-loup-bleu-2/