L’île
C’est l’Île; Éden entouré d’eau de tous côtés!….
Je viens de galoper avec mon Astarté
À l’aube des mers; on fait sécher nos cavales,
Des veuves de Titans délacent nos sandales,
Éventent nos tresses rousses, et je reprends
Mon Sceptre tout écaillé d’émaux effarants !
On est gai, ce matin. Depuis une semaine
Ces lents brouillards plongeaient mes sujets dans la peine,
Tout soupirants après un beau jour de soleil
Pour qu’on prît la photographie de Mon Orteil…..Ah! non, c’est pas cela, mon Ile, ma douce île….
Je ne suis pas encore un Néron si sénile….
Mon île pâle est au Pôle, mais au dernier
Des Pôles, inconnu des plus fols baleiniers!
Les Icebergs entrechoqués s’avançant pâles
Dans les brumes ainsi que d’albes cathédrales
M’ont cerné sur un bloc; et c’est là que, très-seul,
Je fleuris, doux lys de la zone des linceuls,
Avec ma mie !Ma mie a deux yeux diaphanes
Et viveurs! et, avec cela, l’arc de Diane
N’est pas plus fier et plus hautement en arrêt
Que sa bouche! (arrangez cela comme pourrez….)
Oh! ma mie…. – Et sa chair affecte un caractère
Qui n’est assurément pas fait pour me déplaire :
Sa chair est lumineuse et sent la neige, exprès
Pour que mon front pesant y soit toujours au frais,
Mon Front Équatorial, Serre d’Anomalies!…..
Bref, c’est, au bas mot, une femme accomplie.Et puis, elle a les perles tristes dans la voix…..
Et ses épaules sont aussi le premier choix.
Et nous vivons ainsi, subtils et transis, presque
Dans la simplicité les gens peints sur les fresques.
Et c’est l’Île. Et voilà vers quel Eldorado
L’Exode nihiliste a poussé mon radeau.Ô lendemains de noce où nos voix mal éteintes
Chantent aux échos blancs la si grêle complainte :
LE VAISSEAU FANTOMEIl était un petit navire
Où Ugolin mena ses fils,
Sous prétexte, le vieux vampire!
De les fair’ voyager gratis.Au bout le cinq à six semaines,
Les vivres vinrent à manquer,
Il dit:« Vous mettez pas en peine;
«Mes fils n’ m’ont jamais dégoûté! »On tira z’à la courte paille,
Formalité! raffinement!
Car cet homme il n’avait d’entrailles
Qu’ pour en calmer les tiraillements,Et donc, stoïque et légendaire;
Ugolin mangea ses enfants,
Afin d’ leur conserver un père…
Oh! quand j’y song’, mon cœur se fend!Si cette histoire vous embête,
C’est que vous êtes un sans-cœur!
Ah! j’ai du cœur par d’ssus la tête,
Oh! rien partout que rir’s moqueurs!…
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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