L’art, des transports de l’âme est un faible interprète
L’art, des transports de l’âme est un faible interprète ;
L’art ne fait que des vers, le coeur seul est poëte.
Sous sa fécondité le génie opprimé
Ne peut garder l’ouvrage en sa tête formé.
Soit que le doux amour des nymphes du Permesse,
D’une fureur sacrée enflammant sa jeunesse,
L’emporte malgré lui dans leurs riches déserts,
Où l’air est poétique et respire des vers ;
Soit que d’ardents projets son âme poursuivie
L’aiguillonne du soin d’éterniser sa vie ;
Soit qu’il ait seulement, tendre et né pour l’amour,
Souhaité de la gloire, afin de voir un jour,
Quand son nom sera grand sur les doctes collines,
Les yeux qui rendent faible et les bouches divines
Chercher à le connaître, et, l’entendant nommer,
Lui parler, lui sourire, et peut-être l’aimer ;
Malgré lui, dans lui-même, un vers sûr et fidèle
Se teint de sa pensée et s’échappe avec elle.
Son coeur dicte ; il écrit. A ce maître divin
Il ne fait qu’obéir et que prêter sa main.
S’il est aimé, content, si rien ne le tourmente,
Si la folâtre joie et la jeunesse ardente
Étalent sur son teint l’éclat de leurs couleurs,
Ses vers, frais et vermeils, pétris d’ambre et de fleurs,
Brillants de la santé qui luit sur son visage,
Trouvent doux d’être au monde et que vieillir est sage.
Si, pauvre et généreux, son coeur vient de souffrir
Aux cris d’un indigent qu’il n’a pu secourir ;
Si la beauté qu’il aime, inconstante et légère,
L’oublie en écoutant une amour étrangère ;
De sables douloureux si ses flancs sont brûlés,
Ses tristes vers en deuil, d’un long crêpe voilés,
Ne voyant que des maux sur la terre où nous sommes,
Jugent qu’un prompt trépas est le seul bien des hommes.
Toujours vrai, son discours souvent se contredit.
Comme il veut, il s’exprime ; il blâme, il applaudit.
Vainement la pensée est rapide et volage :
Quand elle est prête à fuir, il l’arrête au passage.
Ainsi, dans ses écrits partout se traduisant,
Il fixe le passé pour lui toujours présent,
Et sait, de se connaître ayant la sage envie,
Refeuilleter sans cesse et son âme et sa vie.
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André CHÉNIER
André Marie de Chénier, dit André Chénier, né le 30 octobre 1762 à Constantinople et mort guillotiné le 25 juillet 1794 à Paris, est un poète français. Il était le fils de Louis de Chénier. Né à Galata (Constantinople) d’une mère grecque (Elisabeth Lomaca) et d’un père français, Chénier passe quelques années à... [Lire la suite]
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