Jugement (2)
Extrait
… Voici la mort du ciel en l’effort douloureux
Qui lui noircit la bouche et fait saigner les yeux.
Le Ciel gémit d’ahan ; tous ses nerfs se retirent ;
Ses poumons près à près sans relâche respirent.
Le Soleil vêt de noir le bel or de ses feux ;
Le bel oeil de ce monde est privé de ses yeux.
L’âme de tant de fleurs n’est plus épanouie ;
Il n’y a plus de vie au principe de vie.
Et, comme un corps humain est tout mort terrassé
Dès que du moindre coup au coeur il est frappé,
Ainsi faut que le monde et meure et se confonde
Dès la moindre blessure au Soleil, coeur du monde.
La Lune perd l’argent de son teint clair et blanc,
La Lune tourne en haut son visage de sang ;
Toute étoile se meurt ; les prophètes fidèles
Du Destin vont souffrir éclipses éternelles ;
Tout se cache de peur ; le feu s’enfuit dans l’air,
L’air en l’eau, l’eau en terre ; au funèbre mêlé
Tout beau perd sa couleur ; et voici tout de mêmes
A la pâleur d’en haut tant de visages blêmes
Prennent l’impression de ces feux obscurcis,
Tels qu’on voit au fourneau paraître les transis.
Mais plus, comme les fils du ciel ont au visage
La forme de leur chef, de Christ la vive image,
Les autres de leur père ont le train et les traits,
Du prince Belzebud véritables portraits.
A la première mort ils furent effroyables,
La seconde redouble, où les abominables
Crient aux monts cornus : » Ô Monts, que faites-vous ?
Ebranlez vos rochers et vous crevez sur nous ;
Cachez-nous, et cachez l’opprobre et l’infamie
Qui, comme chiens, nous met hors la cité de vie ;
Cachez-nous pour ne voir la haute majesté
De l’Agneau triomphant sur le trône monté. »… Ô enfants de ce siècle, ô abusés moqueurs,
Imployables esprits, incorrigibles coeurs,
Vos esprits trouveront en la fosse profonde
Vrai ce qu’ils ont pensé une fable en ce monde.
Ils languiront en vain de regret sans merci.
Votre âme à sa mesure enflera de souci.
Qui vous consolera ? L’ami qui se désole
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les Saints vous aimaient-ils ? Un abîme est entre eux ;
Leur chair ne s’émeut plus, vous êtes odieux.
Mais n’espérez-vous point fin à votre souffrance ?
Point n’éclaire aux enfers l’aube de l’espérance.
Dieu aurait-il sans fin éloigné sa merci ?
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussi.
La clémence de Dieu fait au ciel son office,
Il déploie aux enfers son ire et sa justice.
Mais le feu ensoufré, si grand, si violent,
Ne détruira-t-il pas les corps en les brûlant ?
Non, Dieu les gardera entiers à la vengeance.… Transis, désesperés, il n’y a plus de mort
Qui soit pour votre mer des orages le port.
Que si vos yeux de feu jettent l’ardente vue
A l’espoir du poignard, le poignard plus ne tue.
Que la mort (direz-vous) était un doux plaisir
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Courez au feu brûler, le feu vous gèlera ;
Noyez-vous, l’eau est feu, l’eau vous embrasera ;
La peste n’aura plus de vous miséricorde ;
Etranglez-vous, en vain vous tordez une corde ;
Criez après l’enfer, de l’enfer il ne sort
Que l’éternelle soif de l’impossible mort.
Vous vous plaigniez des feux : combien de fois votre âme
Désirera n’avoir affaire qu’à la flamme !
Vos yeux sont des charbons qui embrasent et fument,
Vos dents sont des cailloux qui en grinçants s’allument.
Dieu s’irrite en vos cris et au faux repentir,
Qui n’a pu commencer que dedans le sentir.
Ce feu, par vos côtés ravageant et courant,
Fera revivre encor ce qu’il va dévorant ;
Le chariot de Dieu, son torrent et sa grêle,
Mêlent la dure vie et la mort pêle-mêle.
Aboyez comme chiens, hurlez en vos tourments,
L’abîme ne répond que d’autres hurlements ;
Les Satans découplés d’ongles et dents tranchantes
Sans mort déchireront leurs proies renaissantes ;
Ces Démons tourmentants hurleront tourmentés ;
Leurs fronts sillonneront ferrés de cruautés ;
Leurs yeux étincelants auront la même image
Que vous aviez baignants dans le sang du carnage ;
Leurs visages transis, tyrans, vous transiront,
Ils vengeront sur vous ce qu’ils endureront.
Ô malheur des malheurs, quand tels bourreaux mesurent
La force de leurs coups aux grands coups qu’ils endurent !…
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Théodore Agrippa d’Aubigné, né le 8 février 1552 au château de Saint-Maury près de Pons, en Saintonge, et mort le 9 mai 1630 à Genève, est un écrivain et poète baroque français protestant. Il fut aussi l’un des favoris d’Henri IV, du moins jusqu’à la conversion de celui-ci. Théodore décide alors de rédiger la plus grande... [Lire la suite]
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