J’habite une douleur
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l’automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L’oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n’a plus de vitres. Tu es impatient de t’unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D’autres chanteront l’incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t’identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible.
Pourtant.
Tu n’as fait qu’augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d’une entente qui s’affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l’abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires…
Qu’est-ce qui t’a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
Il n’y a pas de siège pur.
Poème préféré des membres
Commentaires
Rédiger un commentaire
René CHAR
René Char est un poète et résistant français né le 14 juin 1907 à L’Isle-sur-la-Sorgue et décédé à Paris le 19 février 1988. René Émile Char, né en 1907, est le cadet des quatre enfants issus des secondes noces d’Émile Char et de Marie-Thérèse Rouget, sœur de sa première épouse, Julia Rouget, décédée en... [Lire la suite]
Manoir ordinaire
----------
Nous sommes six reclus, trois hommes et trois femmes,
Et jamais nous n’avons abusé des plaisirs ;
Calmes sont nos propos, faibles sont nos désirs,
On ne voit en nos coeurs que de modestes flammes.
Nous sommes paresseux, que nul ne nous en blâme,
Plusieurs de nos matins se passent à dormir ;
Parfois même, en plein jour, je le dis sans frémir,
Nous restons au salon sans en foutre une rame.
Ensemble du déclin nous prenons le chemin,
L’âge nous affaiblit, comme tous les humains ;
Nous ne nous plaignons pas, ça pourrait être pire.
Nous resterons ainsi, trois femmes et trois hommes,
Toujours indifférents aux troubles de l’Empire ;
Et pas trop mécontents d’être ce que nous sommes.