Poème 'Jeunes filles – Sur la plage' de François COPPÉE dans 'Les Récits et les Élégies'

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Jeunes filles – Sur la plage

François COPPÉE
Recueil : "Les Récits et les Élégies"

La pleine mer moutonne au loin sur les brisants.
Dans les rocs qu’ont usés les flots et les jusants,
La lame écume et bout au pied de la falaise ;
Et, debout dans le vent, la jeune Granvillaise,
Un bras devant les yeux, regarde à l’horizon,
Car l’équinoxe approche et voici la saison
Où la côte normande a le plus de naufrages ;
Et les gens sont au large, et, par ce temps d’orages,
Le brave matelot auquel elle a permis
De l’embrasser un soir de printemps, son promis,
Est parti, ruisselant sous sa cape cirée,
Pour pêcher le hareng, dans un chasse-marée.
Et pas un seul bateau n’est encor revenu !
Anxieuse, elle attend, le roc sous son pied nu,
Et laisse ses jupons se tordre au vent. La bise
Fait saillir ses seins durs sous la cretonne bise
Et palpiter aussi, blanches dans un rayon,
Les ailes du bonnet qui semble un papillon.
Une main sur les yeux, l’autre sur l’encolure,
Elle est vraiment superbe ainsi ; sa chevelure
A le reflet luisant des ailes du corbeau,
Et ses yeux, en dépit du hâle de la peau
Et des lourds cheveux noirs tordus comme des câbles,
Ses yeux sont bleus ainsi que le chardon des sables.
Belle enfant que je vis sur la plage, un matin,
Je suis las de Paris et du quartier d’Antin,
Des sentiments d’album, des beautés de keepsake.
A mes amours passés qui, lorsque les dissèque
Mon souvenir, s’en vont en cendres sous mes doigts,
Je préfère le rêve heureux que je te dois.
Car il m’a transporté, pendant une minute,
En pleine mer, là-bas, sur la barque qui lutte,
Et j’ai cru que j’étais le rude matelot
Qui, pour te revenir, va profiter du flot.
Oui, de ma voile au loin tu vois la silhouette ;
Tu crains que ce ne soit d’abord une mouette.
Mais notre mât bientôt au soleil a relui,
Et tu sens ton cœur battre, et tu dis : C’est bien lui !
Bas les voiles ! Le flux nous prend comme une épave.
J’aborde ; le galet a craqué sous l’étrave,
Et je saute dans l’eau, tout joyeux, et d’abord,
Avant que de courir au cabestan du port,
Pour haler le bateau, comme les camarades,
Je te prends par la taille et, malgré tes bourrades,
J’applique sur ton cou, dont frissonne la chair,
Un gros baiser salé par la brise de mer.

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