Poème 'Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps' de Odilon-Jean PÉRIER dans 'Le citadin'

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Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps

Odilon-Jean PÉRIER
Recueil : "Le citadin"

Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps.
C’est à mon plaisir seul, à vous que je m’attends
Égalité du coeur, honnête poésie.
Je n’ai rien de meilleur que cette humeur unie,
J’éprouve la couleur le grain de mon papier
Et l’incertain trésor que j’y viens gaspiller.

Toute pleine de moi, page sans bornes, vive
Étendue où respire une blanche captive,
Mon amour est sur toi comme un ciel éclairé.
Je me retrouve ici seul et désaltéré.
J’ai placé mon bonheur dans un calme langage :
J’aime, et jusqu’aux détours, la route où je m’engage.

Il est sur la cité cinq heures du matin
Dont les vapeurs de l’aube ont brouillé le dessin.
Déjà le boulanger quitte son four sonore,
La nuit aux marronniers, pâle, repose encore,
L’espace doucement a reçu les oiseaux
Et la sirène crie au milieu des bateaux.

Tout le gris éventail d’une ville éveillée
Ouvre son paysage au seuil de ma journée
Et parmi les couleurs de l’arrière-saison
Je dispose le monde autour de ma maison :
Ici d’humides toits glissent dans la lumière,
Se perd par la fumée une étoile dernière,
Un cerisier profond règne sur mon jardin
Et se charge de jour le gazon citadin.
Arbres, roses, pelouse, il n’est rien qui ressemble
A l’édifice pur que vous formez ensemble,
Mais combien difficile à ne point abîmer…

Le beau temps me baptise et fait son feu léger
Parcourir, éveiller un esprit sans faiblesse.
Le thé que je compose est philtre de sagesse,
L’eau tire de sa feuille une riche liqueur ;
J’en éprouve longtemps la pointe et la vigueur.
Ô Thé miraculeux dans cette porcelaine
Au prix d’un or si fin que la richesse est vaine !
Penché sur ton miroir comme les japonais
Respectueusement je respire la paix,
Je repose les mains sur une blanche table
Et le calme où je suis devient si délectable,
De si divine sorte et légèrement fait,
Que toute ma journée en sentira l’effet.

Cette chambre aux murs bleus ouvre dans le feuillage.
La vigne vierge y pousse une flamme sauvage,
Des meubles de bois sombre y luisent simplement
Et le corps est heureux de son embrassement,
Haute fenêtre d’or où ma ville s’appuie,
J’allume en votre honneur une pipe chérie :
Un feu doux et léger bouge au creux de la main,
Dont la chaleur me fait profondément humain.
J’écoute s’éveiller mille voix diligentes,
Battre les lourds tapis et chanter les servantes,
Bruxelles accomplir un rite matinal.

J’avance, l’air entier sonne comme un cristal
Et l’Automne guide mes pas aux avenues.
Pourtant il faut chanter les plus petites rues :
Du soleil s’abandonne à leur pâle pavé
Et le ciel alentour touchant et délavé.
Les marchandes de fleurs y cherchent un sourire ;
Elles ont la couleur des choses qu’on désire
Et, parmi le trésor le plus rafraîchissant
Vivantes, elles font un murmure glissant.
Dans sa robe d’argent comme une vieille amie
Voici pour mon repos la place Stéphanie,
Votre haute fontaine ô Porte de Namur,
Et les jardins du Roi pénétrés par l’azur.

Il est près de Midi. Je vois des hommes vivre.
Passe un cheval dansant, brillant comme le cuivre,
Une. petite fille aux magnifiques dents,
De célèbres messieurs, des cigares ardents.
Comme, au long des trottoirs, une bête docile,
Se range proprement la souple automobile ;
Des femmes sans couleur se tenant par la main
Avancent au milieu d’un silence inhumain.
Leurs cheveux sont ornés d’une rose glacée,
Cette blouse déteinte et leur lèvre blessée ;
Elles ne savent pas saluer le soleil.

Terrasse des cafés sous un lierre vermeil
D’où je vois s’agiter ma ville industrieuse,
Boulevard aussi beau par ta robe poudreuse
Qu’un fleuve déployé dans son vaste dessin,
Maisons de mes amis, la mienne, mon jardin,
Champs d’avoine et d’air pur qui faites la banlieue,
Nuages sur les toits et dans la pierre bleue,
Vous êtes le décor que je donne à ces vers.

Qui m’aime, aime ma ville et me suive au travers.

Dans le bois de la Cambre, un facile Dimanche,
Sous l’aile des pigeons cette île toute blanche,
Cette île, autour de quoi les feuillages et l’eau
Ferment dans le brouillard leur précieux anneau,
Ne vous est-elle pas, distraite citadine,
Comme, après le soleil, une pluie haute et fine
Nourriture du coeur et gage de santé ?

Mes rames dérangeant un trésor argenté,
La barque obéissante échappe à son sillage.
Vous êtes mon ami, sylvestre paysage,
Vous êtes la dernière et meilleure raison
De qui ne connaît plus le dieu de sa maison.
Mais déjà s’abandonne une image de rive
Au mouvement d’amour de cette onde attentive
Quand se répand sur elle et l’épouse le soir
Comme une jeune haleine obscurcit son miroir.
Déjà s’ouvrent, au fond d’un feuillage docile,
Les fleurs blêmes du gaz, les lampes de la ville ;
Une auréole tombe au pied d’arbres en feu,
Pâle et vaste, que j’aime, et qui m’égare un peu.
Adieu, domaine pur…

Bruxelles se déploie.
Une foire opulente alimente sa joie ;
Écumeuse comme elle et pleine de danger
Je regrette la mer, au moment d’y plonger.
Grosses roses de bois, carrousels de banlieue !
Un vertige saisit la fille en blouse bleue,
De tendres Grenadiers la soutiennent à point.
Un clown ouvre les bras, je lui souris de loin.
Je goûte ma faiblesse avec sollicitude,
Je me trouve, sans but et sans inquiétude,
A cette chaude foule un corps abandonné…
J’admire la souplesse et le bien-ordonné
D’une montagne russe au-dessus des feuillages :
Elle déroule un rail, visite les nuages,
Et chavire la foire ! et sombre ! et, mollement,
Berce, caresse, vide un corps convalescent…

Au front des promeneurs que cette foule mène
Au sommeil, aux plaisirs, goûtés sans trop de peine,
Le dangereux amour pose ses mains de feu ;
Et ses ruses feront la règle de mon jeu.
Je vous aime, Cité, domaine de la pluie,
Mais dont les habitants moquent la poésie.
Comme un grand violon de silence habité
Vous êtes l’instrument d’une divinité.
Laissez, laissez mûrir, se charger d’évidence
Cette chose sans nom, cette vaste espérance ;
Se composer un dieu par vos arbres blessés,
Par vos matins déserts et vos soleils brisés,
Par le visage d’or des nuits européennes.
A mes raisons d’amour chacun joigne les siennes.
Tant de silence frais, comme au petit matin,
Favorise le jeu d’un esprit citadin.
Quelle tranquillité fait ma fenêtre ouverte…

Bruxelles, arrosé comme une plante verte,
Bien nouveau, bien plaisant, se tait quand je le veux.
Ce n’est pas au hasard que je nomme ses dieux
Et ni distraitement que ce grand corps murmure.
Je sais où caresser ma belle sans-figure,
Ma ville habituée aux malices du ciel ;
Je ne souhaite pas de plaisir éternel :
Et les quatre saisons me gardent des surprises

Au filet du Printemps quand les branches sont prises
Et que de purs chemins traversent le gazon,
Comme un discours logique et nourri de raison
De beaux jardins me font une vertu nouvelle.

Mais, sous une toison brûlante et solennelle
Lorsque le mois de juin presse le boulevard,
Que des visages nus mélangent leur brouillard,
Autour de qui l’amour tourne comme une bête,
- Comment ne pas chérir cette rapide fête,
Comment ne pas se prendre aux pièges de l’Été ?

Octobre transparent a les couleurs du thé
Et cet intime accent qui fait d’un paysage
Aux hommes patients entendre le langage ;
La banlieue en Automne est un miroir secret
Qu’il faut longtemps polir et de mince reflet,
Mais qu’un peu d’amitié touche son eau fermée :
II n’est rien de si beau dans la plus belle année.

L’Hiver enfin m’enchante et le pavé sonnant ;
Bruxelles reformé dans un ordre émouvant,
Ses arbres dépouillés, sa menteuse logique,
Et le cruel éclat d’un ciel géométrique
Sur toutes nos maisons comme un couteau planté.

J’épuise ces trésors avec tranquillité.
Que n’importent des biens dont je n’ai plus envie
Si je n’en tire un miel qu’on nomme Poésie ?
Je compose ces vers pour me sentir vivant ;
Mais non pas au hasard, non pas distraitement.
Quel besoin de mentir, d’habiter un nuage ?
Il est assez de ruse en ce simple langage,
Les lecteurs que je veux ne s’y tromperont pas.

Yvonne aux gants de fil, dame des cinémas,
Perle et poudreuse rose à la faveur des ombres,
Voit Charlie au corps pur danser sur les décombres.
Les femmes n’aiment pas tant de légèreté.
Mais vous, plus attentive à la divinité,
Saisissez de ses jeux le périssable charme
Et comme un film usé me touche et me désarme,
Ainsi de vos cheveux, de votre froide main.
Mais Élise ! solide et comme le bon grain
Dorée, ouverte aux dieux, fondée en gymnastique,
Éprouve du talon la pelouse élastique
Touchée au petit jour par la grâce du sport.
D’où cette heureuse allure et ce paisible port.
De sommeillants bonheurs ne sauraient plus me plaire
Ni le goût de pain bis d’une enfant sédentaire ;
Mon Élise vivante a le coeur mieux placé,
Sous la douche reçoit un sacrement glacé
Et goûte ses plaisirs sans sourire ni plainte.

Mais toi, dont je chéris la fourrure déteinte
Quand remue à ton cou ce minable ornement,
Suzanne, à la clarté du gaz attendrissant,
Ivre, maigre, et m’ouvrant ta bouche apprivoisée,
Élève dans mes bras une chanson brisée
Ma ville et mon amie ont les mêmes yeux gris.

Sans doute est-il beaucoup de plus nobles pays,
De plus riches climats où déployer sa vie
(Et je ne sais, Paris, comme l’on vous oublie)
Paysages, lointains voyages, ciels changeants…
Mais trouverais-je ailleurs autant d’amis vivants ?
Ma patrie est où sont ces hommes délectables ;
C’est par eux que mes vers deviennent raisonnables,
Pour eux que je guéris d’un délire sacré ;
Ma ville obéissante est refaite à leur gré.
Heureux de parler clair, fondés en poésie,
Laissons-nous-y longtemps caresser par la vie :
Chaque jour de jeunesse est doré comme un pain ;
Poursuivons, sans vieillir, un dialogue humain.
Je termine à ces mots l’éloge de Bruxelles :
Poésie, Amitié, mes lois sont les plus belles,
Ornement du jardin, gloire de la maison,
Les précieux épis d’une riche saison.

Au terme aérien d’un jour sans aventure
Entre mes doigts s’achève un ouvrage d’eau pure
Et je baisse la voix, comme le soir se fait.
Que ma ville repose, elle a dit son secret :
Voici tout le dessin de son meilleur visage.

Comme la mer unit une facile plage,
Comme d’une amoureuse on lisse les cheveux,
Un instant sage encor, sage et silencieux,
Je contiens ma chanson, ma fortune ignorée…
Mais elle s’est de moi doucement détachée ;
Les mains vides, j’entends se perdre ses oiseaux…
Libre et seul, je connais le prix de mon repos :
Quelle paix sur ma ville et quel air d’innocence…
Mes vers portent en eux leur pure récompense.

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