Jardin abandonné
Ma douce, entrons dans le jardin abandonné,
Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire
Où l’autrefois se plaît à roder, solitaire
Et farouche, tel un vieux roi découronné.Entrons dans le jardin qu’un vent d’automne accable,
Où le silence est lent comme une femme en deuil,
Où les ronces d’hier font un mauvais accueil
A qui n’apporte point le regret adorable.Dans le jardin où nul ne promène jamais
Son importun loisir et sa mélancolie,
Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu’on oublie,
Taisons-nous, comme au temps lointain où je t’aimais.Assises toutes deux, amèrement lassées,
Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,
Et n’ayant plus en nous l’espoir ni le désir,
Evoquons la douceur des tristesses passées.Ici, les jeunes pas se font irrésolus,
Ici, l’on marche avec des fatigues d’esclave
En goûtant ce qu’il est de tristement suave
A sourire en passant à ce qu’on n’aime plus.Puisque ici l’herbe seule est folle et vigoureuse,
Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.
Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,
Et des contentements de ton cœur d’amoureuse ?O mon amour ! quel beau passé nous fut donné
Cependant ! Respirons sa bonne odeur de rose
Dans ce jardin où le souvenir se repose,
Dans le calme du beau jardin abandonné…
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Renée VIVIEN
Renée Vivien, née Pauline Mary Tarn le 11 juin 1877 à Londres et morte le 18 novembre 1909 à Paris, surnommée « Sapho 1900 », est une poétesse britannique de langue française du courant parnassien de la Belle Époque. Renée Vivien était la fille d’une mère américaine et d’un père britannique fortuné qui mourut en 1886,... [Lire la suite]
Demeure insignifiante
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C’est un petit manoir plein de mélancolie
Dont les murs furent peints d’étonnantes couleurs ;
Dans les pièces, je vois des meubles sans valeur,
La plus grande armoire est à moitié démolie.
La lumière décline avant d’être abolie,
S’endorment au jardin les oiseaux et les fleurs ;
La nuit nous offrira ses joies et ses douleurs,
Mêlant notre sagesse avec notre folie.
Sur la route un errant s’avance prudemment,
Il marche près des murs comme un discret amant
Qui voudrait se soustraire au regard des concierges.
Il fut un habitant du manoir, autrefois,
Avec un jeune corps, une âme presque vierge,
Il ne sait que penser de ce lieu qu’il revoit.
Douillet désarroi
Il est un sentiment nommé mélancolie,
Qui n’a du désespoir pas la noire couleur,
Car la vie en elle n’est pas ce flot de pleurs
Dans lequel s’est noyé, de Shakespeare, l’Ophélie.
En elle on ne voit pas, non plus, la vie jolie,
Elle n’est donc pas rose, à l’instar de la fleur.
Comme elle est entre eux deux, mi-bonheur, mi-douleur,
Du vin rouge, elle aurait, la teinte de la lie.
C’est un état qui m’est permanent, quasiment,
Je n’étais qu’un enfant à son commencement,
Méditant, par exemple, à la lueur d’un cierge.
C’est une présence, ce douillet désarroi,
Comme l’est au croyant, Marie, la Sainte Vierge,
La mère de Jésus appelé l’enfant-roi.