J’ai fait ce que j’ai pu pour m’arracher de l’âme…
J’ai fait ce que j’ai pu pour m’arracher de l’âme
L’importune fureur de ma naissante flamme,
J’ai lu toute la nuit, j’ai joué tout le jour,
J’ai fait ce que j’ai pu pour me guérir d’amour,
J’ai lu deux ou trois fois tous les secrets d’Ovide,
Et d’un cruel dessein à mes amours perfide,
Goûtant tous les plaisirs que peut donner Paris,
J’ai tâché d’étouffer l’amitié de Cloris.
J’ai vu cent fois le bal, cent fois la comédie,
J’ai des luths les plus doux goûté la mélodie,
Mais malgré ma raison encore, dieu merci,
Ces divertissements ne m’ont point réussi.
L’image de Cloris tous mes desseins dissipe,
Et si peu qu’autre part mon âme s’émancipe,
Un sacré souvenir de ses beaux yeux absents,
A leur premier objet fait revenir mes sens.
Lorsque plus un désir de liberté me presse,
Amour, ce confident rusé de ma maîtresse,
Lui qui n’a point de foi, me fait ressouvenir
Que j’ai donné la mienne et qu’il la faut tenir.
Il me fait un serment qu’il a mis mon idée
Dans le cœur de Madame et qu’elle l’a gardée,
Me fait imaginer, mais bien douteusement,
Qu’elle aura soupiré de mon éloignement,
Et que bientôt, si l’art peut suivre la nature,
Sa beauté me doit faire un don de sa peinture.
Cela me perce l’âme avec un trait si cher
Qu’il me fait recevoir le feu sans me fâcher,
Cela remet mon cœur sur ses premières traces,
Me fait revoir Cloris avecque tant de grâces,
Me rengage si bien que je me sens heureux,
Quoiqu’avec tant de mal, d’être encore amoureux.
Je sais bien qu’elle m’aime, et cet amour fidèle
Demande avec raison que je dépende d’elle.
Et si notre festin par de si fermes lois
Prescrit aux plus heureux de mourir une fois,
Qu’un autre ambitieux se consume à la guerre
Et meure dans le soin de conquérir la terre,
Pour moi, quand il faudra prendre congé du jour,
Puisque Cloris le veut, je veux mourir d’amour.
Qu’on ne me parle point de son humeur légère,
Je veux que ses défauts me la rendent plus chère.
Ce que fait la raison pour empêcher d’aimer
Ne peut que mes désirs davantage allumer.
Quoique dans le travail mon esprit diminue,
Que ma vie en devienne une mort continue,
Que mon sens étourdi relâche sa vigueur,
Et déjà sur mon front imprime sa langueur,
Cependant que Cloris est la vive peinture
Du plus riche embonpoint que peut donner nature,
Que son cœur nonchalant ou peut-être inhumain,
A mon dernier malheur doive prêter la main,
Que souvent d’un baiser elle me soit avare,
C’est tout un, il me plaît qu’elle me soit barbare.
Je veux pour mon plaisir aimer sa cruauté,
En faveur de ses yeux je hais ma liberté,
Je hais mon jugement et veux qu’on me reproche
Que j’aime sans sujet un naturel de roche.
Je me console assez puisque je vois les cieux
Endurer comme moi l’empire de ses yeux,
Que le Soleil, jaloux de la voir luire au monde,
Pâle ou rouge, toujours se va cacher sous l’onde.
Je ne saurais penser que la fierté des ans,
Que ce vieillard cruel qui mange ses enfants,
Voyant tant de beautés puisse avoir le courage,
Tout impiteux qu’il est, de leur faire un outrage.
Et quoiqu’un siècle entier la conduise au trépas,
Pour moi toujours ses yeux auront assez d’appas,
Mon inclination est assez pure et forte
Contre le changement que la vieillesse apporte.
Quand le ciel par dépit renverserait le cours
Et l’ordre naturel qu’il prescrit aux jours,
Et que demain, pour voir si mes désirs perfides
Se pourraient démentir, il lui donnât des rides,
Ma flamme dans mon sang en ses plus chauds bouillons
Adorerait son front tout coupé de sillons,
Ni son teint sans éclat ni ses yeux sans lumière
Ne pourraient rien changer de mon humeur première.
Que son âme et son corps soient tout couverts d’horreur,
Je veux suivre partout mon amoureuse erreur.
Toi, quelque changement dont la fortune essaie
De voir en m’affligeant, si ta constance est vraie,
Cloris, rends la pareille à ma ferme amitié,
Et ne me manque point de foi ni de pitié.
Je sais bien qu’aisément tu te pourrais dédire
Sans qu’il arrive en moi quelque chose de pire,
Parce que mes défauts sont des occasions
Pour détourner de moi tes inclinations,
Mais pour diminuer cette amitié sacrée,
Et pour rompre la foi que tu m’as tant jurée,
Mes imperfections sont un faible sujet,
Car ton amour n’a point ma vertu pour objet.
On dit que les méchants qui d’une aveugle rage
Pressent ceux qui jamais ne leur ont fait d’outrage,
Suivant un naturel malin qui les époind,
Persécutant plus fort et ne pardonnant point,
Ne démordent jamais de leur fausse vengeance
Quand leur courroux n’a point pour objet une offense.
Ainsi ton amitié qui n’a pour fondement
Que de suivre envers moi sa bonté seulement,
Qui ne saurait trouver par où je suis capable
De la moindre faveur ni d’où je suis aimable,
Ne peut trouver aussi par où se détourner,
Ne peut trouver ainsi de quoi m’abandonner,
Et sur cette espérance où mon amour se fonde,
Je crois vivre et mourir le plus heureux du monde.
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