Histoire d’une ourse
Une ourse fit son entrée dans la ville.
Elle marchait pesamment
Et des gouttes d’eau brillaient dans son pelage
Comme des diamants.Elle marcha méconnue,
Elle marcha par les rues
Dans son manteau poilu.La foule passait,
Nul ne la regardait
Et même on la bousculait.Enfin la nuit tomba à genoux
Laissant ruisseler ses cheveux roux
Dans les ruisseaux pleins de boue,Dans la mer en mal de marée,
Sur les prairies, sur les forêts
Et sur les villes illuminées.L’ourse disparut aspirée par les nombres
Avec la foule, avec les ombres
Confondues dans les décombres.Seuls quelques astronomes,
Embusqués sous des dômes,
Virent passer son fantôme.Qu’on te nomme Grande Ourse
Tandis que tu poursuis ta course
Vers la lumière et vers ses sources,Que l’on te pare d’étoiles
Et que du fond de leur geôle
Les prisonniers te voient passer devant le soupirail,Ourse qu’importe, ourse de plume,
Ourse rugissante et bavant l’écume,
Plus étincelante qu’un marteau frappant l’enclume.Ourse qu’importe la fable
Et ta piste sur le sable
S’effilochant comme un vieux câble.J’entends des pas lourds dans la nuit,
J’entends des chants, j’entends des cris,
Les cris, les chants de mes amis.Leurs pas sont lourds
Mais quand naîtra le jour
Naîtra la liberté et l’amour.Qu’il naisse demain ou dans cent ans
Il sera fait de lumière et de sang
Et renouvellera les quatre éléments.Plus lourdes que l’ourse dans la cité
Par le monde je sens monter
La grande invasion, la grande marée.Grande Ourse au ciel tu resplendis
Tandis que j’écoute dans la nuit
Les cris, les chants de mes amis.
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Robert DESNOS
Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l’Allemagne nazie. Autodidacte et rêvant de poésie, Robert Desnos est introduit vers 1920 dans les milieux littéraires modernistes et... [Lire la suite]
Six fois neuf facettes
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Un ours qui manipule un cube diabolique
Trouve que cet engin n'est pas très catholique ;
Il poursuit néanmoins son effort symbolique.
L'ours, faisant pivoter les petits éléments,
Ne trouvant pas le truc, s'énerve sacrément ;
Il se croit prisonnier d'une histoire qui ment.
Le cube lui répond qu'il est un jeu de nombres,
Non pas un petit jeu trouvé dans les décombres,
Mais le joli produit d'une logique sombre.
Bon, dit le plantigrade, on baisse pas les bras !
On ne cherchera point à trier ce fatras,
On prendra six couleurs, et l'on te repeindra.
Ours dignitaire
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Ce grand ours est connétable
Et duc des Marais du Nord ;
Le roi l’invite à sa table
Pour manger du foie de porc.
Il surveille les érables
Dont la sève est un trésor ;
Même par les nuits de sable
Il est toujours le plus fort.
Il voudrait offrir la lune
À la reine aux grands yeux noirs
Que jamais il n’importune ;
Car il frémit à la voir,
Il en perd tous ses pouvoirs,
Nous plaignons son infortune.
Ambiduc plantigrade
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Cet ambiduc respectable
Est un ours vaillant et fort ;
Il fait partie des notables,
Comme son cousin le porc.
Il garde dans son étable
Une vache aux cornes d’or ;
Ainsi qu’un marchand de sable,
Elle le berce, et l’endort.
En rêve il va sur la lune,
Chevauchant un tamanoir,
Mais il y va pour des prunes.
Il a fort peu de savoir
Et n’exerce aucun pouvoir,
Cet ambiduc sans fortune.