H
Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d’une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action — Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.
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Arthur RIMBAUD
Arthur Rimbaud (Jean Nicolas Arthur Rimbaud) est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville, dans les Ardennes, et mort le 10 novembre 1891 à l’hôpital de la Conception à Marseille. Lycéen brillant et poète précoce, Arthur Rimbaud excelle dans les compositions latines, parmi lesquelles on trouve ses plus... [Lire la suite]
Poème sublime, exceptionnel par sa richesse sémantique, sa force stylistique, son originalité thématique et sa modernité. A mon sens le plus grand texte d'Arthur Rimbaud. J'en livre ici une interprétation très personnelle et à ma connaissance inédite.
La lettre "H" renvoie certes à l'initiale d' "Hortense", mais également au symbole chimique de l' "hydrogène", voire même à l'initiale du terme "hygiène" (intégré dans le lexique scientifique par des biologistes comme Louis Pasteur). Riche sur le plan référentiel, elle reste néanmoins pauvre sur le plan de la signifiance : elle associe un signifiant minimaliste à un signifié à peu près vide de contenu pour connoter tout au plus la modernité d'une langue mécanisée, déshumanisée, réduite à la technicité d'un code. "H" renvoie largement à un environnement scientifique particulièrement porté sur la physique (cf. "mécanique", "dynamique", "hydrogène"), l'environnement social d'Hortense, matérialiste au point d'affecter psychologiquement cette pauvre créature ("gestes atroces", "mécanique érotique", "dynamique amoureuse"). Nous sommes au XIXème siècle où le positivisme scientifique (et religieux) d'Auguste Comte fait débat et où la révolution industrielle, née du mariage des sciences appliquées et de l'entrepreneuriat, transforme en profondeur les structures sociales pour sceller le triomphe de la bourgeoisie.
"Hortense" est l'anagramme de "centaure". "Hydrogène" peut se décomposer en "hydre" et "gène", évoquant l'idée d'une monstruosité génétique. L'expression "monstruosités" nous invite à nous représenter une société de nature inhumaine, où la morale, despiritualisée, loin de s'élever distinctement au-dessus des vices du corps chrétien, en est prisonnière au point de sembler chosifiée (cf. "la moralité [...] se décorpore"). Sans âme ou presque, réduits à un niveau essentiellement organique, les individus se bornent à de simples "êtres", et sont portés vers Hortense dans le but d'assouvir leur besoin sexuel.
Mais Hortense est davantage qu'une prostituée. Exprimant toute la violence d'une société inhumaine ("Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'Hortense"), victime d'un proxénétisme qui l'aura soumise dès l'enfance aux fantasmes multiraciaux d'un siècle nationaliste ("Sous la surveillance d’une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races"), elle en a gardé des symptômes physiques, morales et comportementales sous forme de compulsions, de masturbations névrotiques, de troubles affectifs ("gestes atroces", "mécanique érotique", "dynamique amoureuse"). Les abus physiques et moraux à répétition, qui sont autant de viols, semblent avoir fait de la vie d'Hortense une allégorie de la souffrance sexuelle féminine ; en elle peuvent se reconnaître toutes les prostituées, sur un plan transhistorique (cf. "époques nombreuses") comme transculturel (cf. "races") ; elle personnifie à elle seule la prostitution. Objet de désir des pécheurs modernes (cf. "moralité des êtres actuels"), elle a fini par apprendre à sublimer sa douleur, à la transmuer, telle le Christ (cf. "passion"), en compassion, en don d'amour, en actions absolutoires et rédemptrices ("Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action"). La misère morale et affective des hommes modernes trouve chez elle une miséricorde chrétienne (cf. "Sa porte est ouverte à la misère") ; les fantasmes multiraciaux sont grâce à elle assouvis proprement, c'est-à-dire dans la préservation idéologique d'une pureté nationaliste qui ne tolère pas d'enfants métisses (cf. "ardente hygiène des races"). Hortense est une Christ au féminin qui va jusqu'à racheter le sexe faible du péché originel d'Eve. Dès lors de jeunes ecclésiastiques (cf. "novices") n'ont plus à être la proie de pulsions mal refoulées, qui les conduisent à terrasser brusquement des vierges dans la pénombre des lampes à hydrogène ("Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux") ; ils sont invités à se rendre désormais chez Hortense où le sexe est déculpabilisé, fait l'objet d'une moralisation (cf. "trouvez Hortense"). Hortense semble donc d'origine juive (cf. "races") comme l'était Jésus, et comme l'étaient de nombreuses prostituées dont la beauté exotique fascinait (l'hortensia est un arbuste à fleurs exotique) ; une Juive mal aimée dans la France catholique et nationaliste du XIXème siècle ; une Juive qui a fini comme beaucoup de ses semblables par se convertir au catholicisme par amour de la France.
Hortense est surtout une créature "atroce" de la société contemporaine de l'auteur (cf. "actuels"). Cette société tournée vers le progrès scientifique et matérialiste aux détriments de l'accomplissement spirituel des individus. Cette société marquée par l'hypocrisie bourgeoise qu'a dénoncée à plusieurs reprises Rimbaud. Hortense / hortensia est bien une fleur du mal, en référence au recueil poétique de Baudelaire dont l'auteur des Illuminations admirait la modernité. Le texte est influencé par la littérature anglo-saxonne et ses adaptations françaises ("Frankenstein ou Le Prométhée moderne, Notre-Dame de Paris...), ce que semble corroborer ce fait : Les Illuminations ont été pour partie rédigées à Londres.
Personnellement, je préfère l'analyse lumineusement simple voulant qu'Hortense soit la masturbation elle-même. Je pense que cette analyse était partagée par le poète Jim Morrison,dans sa chanson "Five to one".
Appeler un chat un chat n'est pas insulter la gent féline, poil à la ..
ok