Fuyons Paris
Ô ma si fragile compagne,
Puisque nous souffrons à Paris,
Envolons-nous dans la campagne
Au milieu des gazons fleuris.Loin, bien loin des foules humaines,
Où grouillent tant de cœurs bourbeux,
Allons passer quelques semaines
Chez les peupliers et les boeufs.Fuyons les viles courtisanes
Aux flancs de marbre, aux doigts crochus,
Viens ! nous verrons des paysannes
Aux seins bombés sous les fichus.Nos boulevards seront des plaines
Où le seigle ondoie au zéphir,
Et des clairières toutes pleines
De fleurs de pourpre et de saphir.En buvant le lait d’une ânesse
Que tu pourras traire en chemin
Tu rafraîchiras ta jeunesse
Et tu lui rendras son carmin.Dans les halliers, sous la ramure,
Douce rôdeuse au pied mignon,
Tu t’en iras chercher la mûre,
La châtaigne et le champignon.Les fruits qu’avidement tu guignes,
Va ! laisse-les aux citadins !
Nous, nous irons manger des guignes
Au fond des rustiques Édens.Au village, on a des ampoules,
Mais, aussi, l’on a du sommeil.
Allons voir picorer les poules
Sur les fumiers pleins de soleil.Sous la lune, au bord des marnières,
Entre des buissons noirs et hauts,
La carriole dans les ornières
À parfois de si doux cahots !J’aime l’arbre et maudis les haches !
Et je ne veux mirer mes yeux
Que dans la prunelle des vaches,
Au fond des prés silencieux !Si tu savais comme la muse
M’emplit d’un souffle virginal,
Lorsque j’entends la cornemuse
Par un crépuscule automnal !Paris, c’est l’enfer ! – sous les crânes,
Tous les cerveaux sont desséchés !
Oh ! les meunières sur leurs ânes
Cheminant au flanc des rochers !Oh ! le vol des bergeronnettes,
Des linottes et des piverts !
Oh ! le, cri rauque des rainettes
Vertes au creux des buissons verts !Mon âme devient bucolique
Dans les chardons et les genêts,
Et la brande mélancolique
Est un asile où je renais.Sans fin, Seine cadavéreuse,
Charrie un peuple de noyés !
Nous, nous nagerons dans la Creuse,
Entre des buis et des noyers !Près d’un petit lac aux fleurs jaunes
Hanté par le martin-pêcheur,
Nous rêvasserons sous les aunes,
Dans un mystère de fraîcheur.Fuyons square et bois de Boulogne !
Là, tout est artificiel !
Mieux vaut une lande en Sologne,
Grisâtre sous l’azur du ciel !Si quelquefois le nécrophore
Fait songer au noir fossoyeur,
Le pic au bec long qui perfore
Est un ravissant criailleur.Sommes-nous blasés sans ressource ?
Non, viens ! nous serons attendris
Par le murmure de la source
Et la chanson de la perdrix.Le pauvre agneau que l’homme égorge
Est un poème de douceur ;
Je suis l’ami du rouge-gorge
Et la tourterelle est la soeur !Quand on est las de l’imposture
De la perverse humanité,
C’est aux sources de la nature
Qu’il faut boire la vérité.L’éternelle beauté, la seule,
Qui s’épanouit sur la mort,
C’est Elle ! la Vierge et l’Aïeule
Toujours sans haine et sans remord !Aux champs, nous calmerons nos fièvres,
Et mes vers émus, que tu bois,
Jailliront à flots de mes lèvres,
Dans la pénombre des grands bois.Viens donc, ô chère créature !
Paris ne vaut pas un adieu !
Partons vite et, dans la nature,
Grisons-nous d’herbe et de ciel bleu !
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Maurice ROLLINAT
Maurice Rollinat, né à Châteauroux (Indre) le 29 décembre 1846 et mort à Ivry-sur-Seine le 26 octobre 1903, est un poète français. Son père, François Rollinat, était député de l’Indre à l’Assemblée constituante en 1848 et fut un grand ami de George Sand. Issu d’un milieu cultivé, Rollinat se met très... [Lire la suite]
Les amoureux marchent pieds nus
Au printemps dans une herbe tendre,
Entourés de sons inconnus
Qu'ils ont seuls à pouvoir entendre.
Avant que le soir fût venu
Ils ont trouvé de quoi s'étendre ;
Les gestes longtemps retenus
Sont accomplis sans plus attendre.
Au lointain dorment les villages,
Nul paysan au pâturage,
Nul promeneur sur le chemin.
A l'horizon dort la montagne.
Dorment compagnon et compagne
Ici, sans penser à demain.