Feu follet
Ce feu fantasque, insaisissable,
Qui, dans l’ombre voltige et luit,
Et qui, même pendant la nuit,
Ni sur la mer, ni sur le sable,
Ne laisse de traces après lui.Ce feu toujours prêt à s’éteindre,
Tour à tour blanc, vert ou violet,
Pour reconnaître ce qu’il est,
Il faudrait le pouvoir atteindre !
Atteignez donc un feu follet !On dit que c’est chose certaine,
Un peu d’hydrogène du sol,
J’aime mieux croire qu’en son vol,
Il vient d’une étoile lointaine,
De
Wega, de la
Lyre ou d’Algol.Mais n’est-ce pas plutôt l’haleine
D’un sylphe, d’un djinn, d’un lutin,
Qui brille la nuit et s’éteint,
Lorsque se réveille la plaine
Aux rayons joyeux du matin,Ou la lueur de la lanterne
Du long spectre qui va s’asseoir
Sur la chaume du vieux pressoir,
Quand la lune blafarde et terne
Se lève à l’horizon du soir ?Peut-être l’âme lumineuse
D’une folle qui va cherchant
La paix loin du monde méchant,
Et passe comme une glaneuse
Qui n’a rien trouvé dans son champ !
Serait-ce un effet de mirage
Sur l’horizon déjà moins clair
Produit par un trouble de l’air ,Ou, vers la fin de quelque orage,
Le reste d’un dernier éclair ?Est-ce la lueur d’un bolide,
Véritable jouet icarien » ?
Qui dans son cours aérien
Etait lumineux et solide,
Et dont il ne reste plus rienI,Ou sur les champs dont il éclaire
D’un pâle reflet le sillon,
Quelque mystérieux rayon
Tombé d’une aurore polaire,
Triste et nocturne papillon ?Serait-ce en ces heures funèbres
Où les vivants dorment, lassés,
Le pavillon aux plis froissés
Qu’ici-bas l’ange des ténèbres
Arbore au nom des trépassés ?Ou bien, pendant les nuits trop sombres,
Lorsque le moment est venu,
Est-ce le signal convenu
Que la terre, du sein des ombres,
Envoie au ciel vers l’inconnu,Et qui, comme un feu de marée,
Aux
Esprits errant à travers
Les vagues espaces ouverts
Indique la céleste entrée
Des ports de l’immense
Univers ?Mais si c’est l’ardente étincelle
Qui sur son front porte l’Amour
Quand il parcourt le monde pour
Essayer de rencontrer
Celle
Qui doit le fixer sans retour,Prends garde à ton cœur, jeune fille,
Et si tu l’aperçois là-bas,
Laisse-le seul à ses ébats !Oui ! prends garde ! ce feu qui brille
S’éteint vite et ne brûle pas !Qui que tu sois, éclair, souffle, âme,
Pour bien
I pénétrer tes secrets
O feu fantasque, je voudrais
Un jour m’absorber dans ta flamme
Alors, partout je te suivrais,Lorsque sur la cime des arbres,
Tu viens te poser, souffle ailé,
Ou, discrètement appelé,
Lorsque tu caresses les marbres
Du cimetière désolé,Quand dans nos vieilles cathédrales
Tu viens parfois te frapper aux
Saints coloriés de leurs vitraux
Ou que des cryptes sépulcrales
Tu glisses hors des soupiraux,uLorsque vers minuit tu t’accroches
Aux ruines du vieux manoir
Qui domine les hautes roches
Et sur le ciel paraît tout noir,Ou quand tu rôdes sur les lisses
Du navire battu de flanc
Sous les coups de typhon hurlantEt que dans les agrès tu glisses
Ainsi qu’un lumineux goéland !Et l’union serait complète
Si le destin, un jour, voulait
Que je pusse, comme il me plaît,
Naître avec toi, flamme follette,
Mourir avec toi, feu follet !
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Jules VERNE
Jules Verne, né le 8 février 1828 à Nantes en France et mort le 24 mars 1905 à Amiens en France, est un écrivain français dont une grande partie des œuvres est consacrée à des romans d’aventures et de science-fiction (ou d’anticipation). En 1863 paraît chez l’éditeur Pierre-Jules Hetzel (1814-1886) son... [Lire la suite]
Marsupial narcissique
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Un marsupial insaisissable
Et porteur d'un miroir qui luit
Arpente le pont, jour et nuit ;
Le sablier y perd son sable.
Son désir ne saurait s'éteindre,
Et pas même s'il le voulait ;
Trop amoureux de ce qu’il est,
Le bonheur, il ne peut l'atteindre.
Or, sa survie est incertaine,
On le trouvera sur le sol
Et son âme aura pris son vol,
Changée en comète lointaine.
Lutin méditant
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Lui qui se dissimule entre les brins de paille,
De ma sombre taverne il n’est pas amateur ;
Ce n’est pas un mondain, ce n’est pas un flatteur,
La longue beuverie ne lui dit rien qui vaille.
Il a bien du respect pour les gens qui travaillent,
Mais préfère, pour lui, le repos enchanteur :
Il médite à loisir, il pense avec lenteur,
Ce lutin bien discret qui platement rimaille.
Les arbres sont présents, les nuages sont là,
Et son intelligence est dans un calme plat,
Je ne pourrai jamais le mettre à mon service.
Ce lutin m’a bien l’air d’être un homme sans loi,
Lui qui connaît pourtant le jardin et la croix,
Lui qui s’abstient pourtant de la plupart des vices.
C'est le temps des lutins, celui ci m'a l'air plein de ressources.
Lutin d’été
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Les fruits des vieux jardins ont des goûts de liqueurs,
Je viens les savourer quand les ombres s’allongent ;
Par-delà l’horizon le rouge soleil plonge,
Hypnos dans peu de temps sera notre vainqueur.
Je suis un vieux lutin, jadis un peu moqueur,
Mais guère maintenant, car j’ai jeté l’éponge ;
Mes années révolues me font l’effet d’un songe,
Vous ne me verrez point m’en faire chroniqueur.
Je contemple un fruit mûr que la brise balance,
J’écoute du verger le bienheureux silence ;
Les oiseaux sont partis, l’astre nocturne luit.
Ici venait danser la farfadette brune,
Ensemble nous goûtions la saveur de la nuit ;
Mais elle a disparu, je n’ai plus que la lune.
Pyramide inclinée
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Ce monument abrite un feu
Qui dort dans la nuit opaline ;
Ce grand bâtiment qui s’incline
Héberge une nonne aux yeux bleus.
Elle y dort avec son neveu
Que chastement elle câline ;
Ce n’est pas une indiscipline,
Ce n’est pas pour offenser Dieu.
Ici, pas de démons hostiles
Mais des dryades fort civiles ;
Plus deux ou trois crapauds volants.
Ces temps derniers, la terre tremble,
L’édifice est un peu branlant ;
Mieux vaudrait partir, ce me semble.
* * *
Forme révélatrice,
celle des pyramides.