Étranges étrangers
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays lointains
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés
Polacks du Marais du Temple des RosiersCordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juilletEnfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisésEnfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier pliéEnfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizièresOn vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dosÉtranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous mourez.“Étranges étrangers”, tiré du recueil “Grand bal du printemps” paru aux éditions Gallimard
© Fatras/ Succession Jacques Prévert, pour les droits audiovisuels et numériques
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Jacques PRÉVERT
Jacques Prévert est un poète et scénariste français, né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine, et mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite (Manche). Après le succès de son premier recueil de poèmes, « Paroles », il devint un poète populaire grâce à son langage familier et ses jeux de mots. Ses poèmes sont... [Lire la suite]
un peu long mais sinon il est bien
Saint Jacques le Mince
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Il n’a cure des apparences,
Il accepte les coups du sort ;
Ce saint ménage ses efforts
Tout en ayant de l’endurance.
Vaine est du démon l’assurance,
Il admet qu’il est dans son tort ;
Il se débat, il griffe, il mord,
Il est vaincu par la souffrance.
Jacques l’invite en sa maison,
Du vin nouveau c’est la saison ;
Leurs deux soifs seront assouvies.
Ensemble ils boivent, dans la nuit ;
Ils ont une forte eau-de-vie
De mirabelle, un très bon fruit.
Chapelle grise
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La chapelle auprès de la mare
Est, semble-t-il, à l’abandon ;
Même les jours de Grand Pardon,
La solitude s’en empare.
On y entend des voix bizarres
Qui s’adressent à Cupidon ;
Des papiers sur un guéridon
Portent des prières barbares.
Je ne veux pas m’en approcher,
Je reste au loin, sur un rocher ;
Je la contemple et je médite.
Je crois qu’un ennemi de Dieu
Est devenu prêtre en ce lieu,
En cette chapelle maudite.