Épitre au général La Fayette
Est-il vrai ? La Fayette, après ce long voyage,
Sans cesse ralenti par un nouvel hommage,
Convié par l’amour à nos banquets obscurs,
Fait passer aujourd’hui son triomphe en nos murs !
Des fleurs que l’on jetait naguère à la puissance,
Citoyens, couronnez la gloire qui s’avance.
Le siècle des héros a commencé par lui,
Et, le dernier de tous, il le ferme aujourd’hui.
Lorsque, prête à jaillir, une brûlante lave
Bouillonnait et grondait sous la patrie esclave,
Le nom de La Fayette, illustré dans le camp,
Fut le premier éclair échappé du volcan.Armé pour s’affranchir d’un pouvoir tyrannique,
L’Américain tombait sous le fer britannique :
À la voix de ce peuple expirant sans secours,
Il s’indigne et, fuyant les voluptés des cours,
Va porter au combat un front encore humide
Des baisers et des pleurs d’une épouse timide,
Et depuis, aux vertus instruit par Washigton,
Ressuscitant pour nous le héros de Boston,
Lorsque la Liberté fleurit au Nouveau Monde,
Il nous en apporta la semence féconde ;
Il prévoyait qu’un jour la plante d’outre-mer
Saurait nous consoler d’un premier fruit amer.Tour à tour accueilli, rejeté par la foule,
Quels tableaux différents sont histoire déroule !
Ici, le peuple entier qu’à défendu sa voix
L’élève dans ses bras comme sur un pavois ;
Plus loin, dans le séant où siégea la puissance,
En face d’elle-même accusant la licence,
Calme à travers les flots d’un parti criminel,
Il subit la menace et le nom de Cromwell,
Ou, couvrant le malheur d’un glaive tutélaire,
Dispute une victime au lion populaire…
Hélas ! de ses tyrans le Français délivré,
Par la voix des flatterus à son tour enivré,
S’égare dans le crime, et La Fayette abdique,
Pour ne point la souiller, sa couronne civique.
Sacrifice inouï ! Le soldat, sans effort,
Au signal de l’honneur peut embrasser la mort,
Et l’orateur, bravant la tribune orageuse,
Élever pour le peuple une voix courageuse ;
Mais perdre son amour pour le mieux mériter,
Lorsque dans son abîme en aveugle il se jette, —
Ah ! voilà l’héroïsme et voilà La Fayette !
Comme un malade en proie au délire brûlant,
Que l’art désespéré n’aborde qu’en tremblant,
Il voit périr la France, il subit ses injures,
Il s’expose à ses coups pour guérir ses blessures,
Et devant l’ostracisme il fuit loin de nos bords,
Emportant des regrets, mais non pas des remords.
Quand des lâches suivaient la bannière ennemie,
Il accepta des fers plutôt que l’infamie.
Les despostes, dont l’or payait la trahison,
Pour cet hôte nouveau n’eurent qu’une prison ;
Mais que de fleurs alors célébraient sa louange !
Une femme, semblable à la veuve du Gange,
Importunant les rois, obtint à leurs genoux
De s’enfermer vivante au tombeau d’un époux ;
Et lui, le front paisible et l’âme résignée,
Souriait à la voix de l’Europe indignée,
Qui, plaignant son malheur, maudissait ses bourreaux,
Lui jetait des lauriers à travers ses barreaux.
Enfin, il a vu fuir les jours de la souffrance,
L’amour de l’étranger le dispute à la France ;
Comme le sol natal, le sol qu’il défendit,
Pour couronner son front, de palmes reverdit. —
Alors les nations, curieux auditoire,
Applaudissaient de loin cette scène de gloire,
Et la France captive oubliant ses revers,
Belle de ses enfants aux yeux de l’univers.Attentive à ses pas, en vain l’hydre aux sept têtes
Mêle des sifflements au tumulte des fêtes,
Et d’une faction les organes impurs
Lui lancent chaque jour des blasphèmes obscurs,
Esclaves insolents dont la clameur frivole
Poussait encor le char qui monte au Capitole :
Des droits qu’a défendus son bras victorieux
Il gardera toujours le dépôt glorieux.
Les ans de leurs frimas n’ont pas touché son âme ;
Comme elle, sa parole est encore de flamme,
Et sur la jeune France elle a l’autorité
De l’histoire, qui parle à la postérité.
Autour de ce drapeau, sacré par sa vieillesse,
Le citoyen français se rallîra sans cesse ;
Dans l’urne électorale il jettera toujours
Ce nom béni du peuple et blasphémé des cours.
Ce nom, comme un tocsin, de présages sinistres
Troublera le sommeil des coupables ministres :
Fantômes qui, semant la terreur autour d’eux,
Entre le Prince et nous se sont dressés… hideux !
Et si, pour déployer un nouvel incendie,
Quelque trame infernale était encore ourdie,
Si le pouvoir jaloux brisait aux pieds des rois
L’égide qu’un roi même étendit sur nos droits,
Dans l’enceinte déserte où tonnait l’éloquence
S’il voulait ramener un éternel silence,
Pour nourrir ces faux dieux, avides de tributs,
Français, refusez tous de nouveaux sacrifices ;
Conspirez sans terreur : les lois sont vos complices.
Devant la Liberté que son glaive outragea
Un despote héroïque a succombé déjà,
Et nous verrons ces nains, dont l’orgueil ridicule
Menace de franchir les colonnes d’Hercule,
Sous leur pouvoir d’un jour écrasés avant nous,
Tomber, et satisfaire à la France en courroux.
Provins, 31 octobre 1829
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Hégésippe MOREAU
Hégésippe Moreau est un écrivain, poète et journaliste français, né et mort à Paris (8 avril 1810 – 20 décembre 1838). Inscrit à l’état civil sous le nom de Pierre-Jacques Roulliot, il porte dès son enfance le nom de son père naturel et adopte le pseudonyme d’Hégésippe en publiant ses premiers vers à Paris en... [Lire la suite]
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