Elsa-Valse
Où t’en vas-tu pensée où t’en vas-tu rebelle
Le Sphinx reste à genoux dans les sables brûlants
La victoire immobile en est-elle moins belle
Dans la pierre qui l’encorbelle
Faute de s’envoler de l’antique chalandQu’elle valse inconnue entraînante et magique
M’emporte malgré moi comme une folle idée
Je sens fuir sous mes pieds cette époque tragique
Elsa quelle est cette musique
Ce n’est plus moi qui parle et mes pas sont guidésCette valse est un vin qui ressemble au Saumur
Cette valse est le vin que j’ai bu dans tes bras
Tes cheveux en sont l’or et mes vers s’en émurent
Valsons-la comme on saute un mur
Ton nom s’y murmure Elsa valse et valseraLa jeunesse y pétille où nos jours étant courts
A Montmartre on allait oublier qu’on pleura
Notre nuit a perdu ce secret du faux-jour
Mais a-t-elle oublié l’amour
L’amour est si lourd Elsa valse et valseraPuis la vie a tourné sur ses talons de songes
Que d’amis j’ai perdus L’un tirait les tarots
L’autre en dormant parlait de l’amour des éponges
Drôles de gens que l’ombre ronge
Fanfarons de l’erreur qui jouaient aux hérosSouviens-toi des chansons que chantait pour nous plaire
La négresse au teint clair ce minuit qu’on poudra
Avant l’aube en rentrant on prenait un peu l’air
Que de nuits ainsi s’envolèrent
O temps sans colère Elsa valse et valseraAchetée à crédit la machine à écrire
Nous mettait tous les mois dans un bel embarras
On n’avait pas le sou Qu’il est cher de chérir
Mes soucis étaient tes sourires
Car je pouvais dire Elsa valse et valseraPuis la vie a tourné sur ses talons de verre
Le tzigane du sort changea de violon
Nous avons voyagé par un monde sévère
Qui roulait la tête à l’envers
Des sanglots étouffés mêlés à ses flonflonsTu faisais des bijoux pour la ville et le soir
Tout tournait en colliers dans tes mains d’Opéra
Des morceaux de chiffons des morceaux de miroir
Des colliers beaux comme la gloire
Beaux à n’y pas croire Elsa valse et valseraJ’allais vendre aux marchands de New-York et d’ailleurs
De Berlin de Rio de Milan d’Ankara
Ces joyaux faits de rien sous tes doigts orpailleurs
Ces cailloux qui semblaient des fleurs
Portant tes couleurs Elsa valse et valseraPuis la vie a tourné sur ses talons de rage
Des éclairs traversaient les tubes de néon
On entendait hennir des chevaux de nuages
Traînant des voitures d’orage
Le jazz contre un tambour troque l’accordéonCe qui suit pourrait mal se danser quand César
A pour vous dévorer les chacals qu’il voudra
Mais quel air tourbillonne au tombeau de Lazare
Entends-tu son rythme bizarre
Au bal des hasards Elsa valse et valseraNous avons traversé le cyclone et le sort
L’enfer est sur la terre et le ciel y cherra
Mais voici qu’à l’horreur il succède une aurore
Et que cède à l’amour la mort
Elsa valse encore Elsa valse et valseraEt la vie a tourné sur ses talons de paille
Avez-vous vu ses yeux Ce sont des yeux d’enfant
La terre accouchera d’un soleil sans batailles
Il faut que la guerre s’en aille
Mais seulement que l’homme en sorte triomphantMon amour n’a qu’un nom c’est la jeune espérance
J’en retrouve toujours la neuve symphonie
Et vous qui l’entendez du fond de la souffrance
Levez les yeux beaux fils de France
Mon amour n’a qu’un nom Mon cantique est fini
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Louis ARAGON
Louis Aragon est un poète, romancier, journaliste et essayiste français, né le 3 octobre 1897 à Neuilly-sur-Seine et mort le 24 décembre 1982 à Paris. Il est également connu pour son engagement et son soutien au Parti communiste français de 1930 jusqu’à sa mort. Avec André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, il fut... [Lire la suite]
Et la vie a tourné sur ses talons de plumes
Avez-vous vu comment a mûri ce poète
Un aimable vieillard au regard plein de brume
Il mange sa soupe aux légumes
Cet aimable vieillard aux allures proprettes