Élégie troisième
Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse,
Qui ne suis pas encor du naufrage essuyé,
Quitte à peine d’un voeu nouvellement payé.
Que faire ? mon destin est tel qu’il faut que j’aime
On m’a pourvu d’un coeur peu content de lui-même,
Inquiet, et fécond en nouvelles amours :
Il aime à s’engager, mais non pas pour toujours.
Si faut-il une fois brûler d’un feu durable ;
Que le succès en soit funeste ou favorable,
Qu’on me donne sujet de craindre ou d’espérer,
Perte ou gain, je me veux encore aventurer.
Si l’on ne suit l’Amour, il n’est douceur aucune :
Ce n’est point près des rois que l’on fait sa fortune ;
Quelque ingrate beauté qui nous donne des lois,
Encore en tire-t-on un souris quelquefois ;
Et, pour me rendre heureux, un souris peut suffire.
Clymène, vous pouvez me donner un empire,
Sans que vous m’accordiez qu’un regard d’un instant :
Tiendra-t-il à vos yeux que je ne sois content ?
Hélas ! qu’il est aisé de se flatter soi-même !
Je me propose un bien dont le prix est extrême,
Et ne sais seulement s’il m’est permis d’aimer.
Pourquoi non, s’il vous est permis de me charmer ?
Je verrai les Plaisirs suivre en foule vos traces,
Votre bouche sera la demeure des Grâces,
Mille dons près de vous me viendront partager ;
Et mille feux chez moi ne viendront pas loger !
Et je ne mourrai pas ! Non, Clymène, vos charmes
Ne paraîtront jamais sans me donner d’alarmes ;
Rien ne peut empêcher que je n’aime aussitôt.
Je veux brûler, languir, et mourir s’il le faut :
Votre aveu là-dessus ne m’est pas nécessaire.
Si pourtant vous aimer, Clymène, était vous plaire,
Que je serais heureux ! quelle gloire, quel bien !
Hors l’honneur d’être à vous je ne demande rien.
Consentez seulement de vous voir adorée :
Il n’est condition des mortels révérée
Qui ne me soit alors un objet de mépris.
Jupiter, s’il quittait le céleste pourpris,
Ne m’obligerait pas à lui céder ma peine.
Je suis plus satisfait de ma nouvelle chaîne
Qu’il ne l’est de sa foudre. Il peut régner là-haut :
Vous servir ici-bas c’est tout ce qu’il me faut.
Pour me récompenser, avouez-moi pour vôtre ;
Et, si le Sort voulait me donner à quelque autre,
Dites : < Je le réclame ; il vit dessous ma loi
Je vous en avertis, cet esclave est à moi ;
Du pouvoir de mes traits son coeur porte la marque,
N’y touchez point. » Alors je me croirai monarque.
J’en sais de bien traités, d’autres il en est peu :
Je serai plus roi qu’eux après un tel aveu.
Daignez donc approuver les transports de mon zèle ;
Il vous sera permis après d’être cruelle.
De ma part, le respect et les soumissions,
Les soins, toujours enfants des fortes passions,
Les craintes, les soucis, les fréquentes alarmes,
L’ordinaire tribut des soupirs et des larmes,
Et, si vous le voulez, mes langueurs, mon trépas,
Clymène, tous ces biens ne vous manqueront pas.
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