Élégie deuxième
Amour, que t’ai-je fait ? dis-moi quel est mon crime :
D’où vient que je te sers tous les jours de victime ?
Qui t’oblige à m’offrir encor de nouveaux fers ?
N’es-tu point satisfait des maux que j’ai soufferts ?
Considère, cruel, quel nombre d’inhumaines
Se vante de m’avoir appris toutes tes peines ;
Car, quant à tes plaisirs, on ne m’a jusqu’ici
Fait connaître que ceux qui sont peines aussi.
J’aimai, je fus heureux : tu me fus favorable
En un âge où j’étais de tes dons incapable ;
Chloris vint une nuit : je crus qu’elle avait peur.
Innocent ! Ah ! pourquoi hâtait-on mon bonheur ?
Chloris se pressa trop ; au contraire, Amarille
Attendit trop longtemps à se rendre facile.
Un an s’était déjà sans faveurs écoulé,
Quand, l’époux de la belle aux champs étant allé,
J’aperçus dans les yeux d’Amarille gagnée
Que l’heure du berger n’était pas éloignée.
Elle fit un soupir, puis dit en rougissant :
» Je ne vous aime point, vous êtes trop pressant ;
Venez sur le minuit, et qu’aucun ne vous voie. »
Quel amant n’aurait cru tenir alors sa proie ?
En fut-il jamais un que l’on vit approcher
Plus près du bon moment, sans y pouvoir toucher ?
Amarille m’aimait ; elle s’était rendue
Après un an de soins et de peine assidue.
Les chagrins d’un jaloux irritaient nos désirs ;
Nos maux nous promettaient des biens et des plaisirs.
La nuit que j’attendais tendit enfin ses voiles,
Et me déroba même aux yeux de ses étoiles :
Ni joueur, ni filou, ni chien, ne me troubla.
J’approchai du logis : on vint, on me parla ;
Ma fortune, ce coup, me semblait assurée.
» Venez demain, dit-on, la clef s’est égarée. »
Le lendemain l’époux se trouva de retour.
Eh bien ! me plains-je à tort ? me joues-tu pas, Amour ?
Te souvient-il encor de certaine bergère ?
On la nomme Philis ; elle est un peu légère :
Son coeur est soupçonné d’avoir plus d’un vainqueur,
Mais son visage fait qu’on pardonne à son coeur.
Nous nous trouvâmes seuls : la pudeur et la crainte
De roses et de lis à l’envi l’avaient peinte.
Je triomphai des lis et du coeur dès l’abord ;
Le reste ne tenait qu’à quelque rose encor.
Sur le point que j’allais surmonter cette honte,
On me vint interrompre au plus beau de mon conte :
Iris entre ; et depuis je n’ai pu retrouver
L’occasion d’un bien tout prêt de m’arriver.
Si quelque autre faveur a payé mon martyre,
Je ne suis point ingrat, Amour, je vais la dire :
La sévère Diane, en l’espace d’un mois,
Si je sais bien compter, m’a souri quatre fois ;
Chloé pour mon trépas a fait semblant de craindre ;
Amarante m’a plaint ; Doris m’a laissé plaindre ;
Clarice a d’un ‘regard mon tourment couronné ;
Je me suis vu languir dans les yeux de Daphné.
Ce sont là tous les biens donnés à mes souffrances ;
Les autres n’ont été que vaines espérances ;
Et, même en me trompant, cet espoir a tant fait
Que le regret que j’ai les rend maux en effet.
Quant aux tourments soufferts en servant quelque ingrate,
C’est où j’excelle : Amour, tu sais si je me flatte.
Te souvient-il d’Aminte ? il fallut soupirer,
Gémir, verser des pleurs, souffrir sans murmurer,
Devant que mon tourment occupât sa mémoire ;
Y songeait-elle encore ? hélas ! l’osé-je croire ?
Caliste faisait pis ; et, cherchant un détour,
Répondait d’amitié quand je parlais d’amour :
Je lui donne le prix sur toutes mes cruelles.
Enfin, tu ne m’as fait adorer tant de belles
Que pour me tourmenter en diverses façons.
Cependant ce n’est pas assez de ces leçons
Tu me fais voir Clymène ; elle a beaucoup de charmes ;
Mais pour une ombre vaine elle répand des larmes ;
Son coeur dans un tombeau fait voeu de s’enfermer,
Et, capable d’amour, ne me saurait aimer.
Il ne me restait plus que ce nouveau martyre :
Veux-tu que je l’éprouve, Amour ? tu n’as qu’à dire.
Quand tu ne voudrais pas, Clymène aura mon coeur :
Dis-le lui, car je crains d’irriter sa douleur.
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