Dimanches (Bref, j’allais)
Bref, j’allais me donner d’un « Je vous aime »
Quand je m’avisai non sans peine
Que d’abord je ne me possédais pas bien moi-même.(Mon Moi, c’est Galathée aveuglant Pygmalion !
Impossible de modifier cette situation.)Ainsi donc, pauvre, pâle et piètre individu
Qui ne croit à son Moi qu’à ses moments perdus,
Je vis s’effacer ma fiancée
Emportée par le cours des choses,
Telle l’épine voit s’effeuiller,
Sous prétexte de soir sa meilleure rose.Or, cette nuit anniversaire, toutes les Walkyries du vent
Sont revenues beugler par les fentes de ma porte :
Væ soli !
Mais, ah! qu’importe ?
Il fallait m’en étourdir avant!
Trop tard! ma petite folie est morte !
Qu’importe Væ soli !
Je ne retrouverai plus ma petite folie.
Le grand vent bâillonné,
S’endimanche enfin le ciel du matin.
Et alors, eh1 allez donc, carillonnez,
Toutes cloches des bons dimanches!
Et passez layettes et collerettes et robes blanches
Dans un frou-frou de lavande et de thym
Vers l’encens et les brioches!
Tout pour la famille, quoi! Væ soli ! C’est certain.La jeune demoiselle à l’ivoirin paroissien
Modestement rentre au logis.
On le voit, son petit corps bien reblanchi
Sait qu’il appartient
A un tout autre passé que le mien!Mon corps, ô ma sœur, a bien mal à sa belle âme…
Oh! voilà que ton piano
Me recommence, si natal maintenant!
Et ton cœur qui s’ignore s’y ânonne
En ritournelles de bastringues à tout venant,
Et ta pauvre chair s’y fait mal!…
A moi, Walkyries!
Walkyries des hypocondries et des tueries!Ah, que je te les tordrais avec plaisir,
Ce corps bijou, ce cœur à ténor,
Et te dirais leur fait, et puis encore
La manière de s’en servir
De s’en servir à deux,
Si tu voulais seulement m’approfondir ensuite un peu!Non, non! C’est sucer la chair d’un cœur élu,
Adorer d’incurables organes
S’entrevoir avant que les tissus se fanent
En monomanes, en reclus!Et ce n’est pas sa chair qui me serait tout,
Et je ne serais pas qu’un grand cœur pour elle,
Mais quoi s’en aller faire les fous
Dans des histoires fraternelles!
L’âme et la chair, la chair et l’âme,
C’est l’esprit édénique et fier
D’être un peu l’Homme avec la Femme.En attendant, oh! garde-toi des coups de tête,
Oh ! file ton rouet et prie et reste honnête.- Allons, dernier des poètes,
Toujours enfermé tu te rendras malade !
Vois, il fait beau temps, tout le monde est dehors,
Va donc acheter deux sous d’ellébore,
Ça te fera une petite promenade.
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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