Désespoirs amoureux. Stances
Eloigné de vos yeux où j’ai laissé mon âme,
Je n’ai de sentiment que celui du malheur,
Et sans un peu d’espoir, qui luit parmi ma flamme,
Mon trépas eût été ma dernière douleur.Plût au Ciel qu’aujourd’hui la terre eût quitté l’onde,
Que les rais du soleil fussent absents des cieux,
Que tous les éléments eussent quitté le monde,
Et que je n’eusse pas abandonné vos yeux!Un arbre que le vent emporte à ses racines,
Une ville qui voit démolir son rempart,
Le faîte d’une tour qui tombe en ses ruines,
N’ont rien de comparable à ce sanglant départ.Depuis, votre Damon ne sert plus que de nombre,
Mes sens de ma douleur s’en vont déjà ravis;
Je ne suis plus vivant, et passerais pour ombre
Sinon que mes soupirs découvrent que je vis.Mon âme est dans les fers, mon sang est dans la flamme,
Jamais malheur ne fut à mon malheur égal;
J’ai des vautours au sein, j’ai des serpents dans l’âme,
Et vos traits qui me font encore plus de mal.Errant depuis deux mois de province en province,
Je traîne avecque moi la fortune et l’amour;
L’une oblige mes pas à courtiser mon Prince,
L’autre oblige mes sens à vous faire la cour.Des plus rares beautés en ce fâcheux voyage,
Où jadis pour aimer les dieux fussent allés,
M’ont assez prodigué les traits de leur visage;
Mais ce n’était qu’horreur à mes yeux désolés.Partout où loin de toi la Fortune me traîne,
Je jure par tes yeux que tout mon entretien
N’est que d’entretenir ma vagabonde peine,
Et qu’il me souvient moins de mon nom que du tien.En ma condition d’où mille soins ne partent,
L’entendement me laisse et tout conseil me fuit;
Tous autres pensements de mon âme s’écartent,
Au souvenir du tien qui sans cesse me suit.Que ta fidélité se forme à mon exemple!
Fuis comme moi la presse, hais comme moi la Cour;
Ne fréquente jamais bal, promenoir, ni temple,
Et que nos déités ne soient rien que l’Amour.Tout seul dedans ma chambre où j’ai fait ton église,
Ton image est mon Dieu, mes passions, ma foi;
Si pour me divertir Amour veut que je lise,
Ce sont vers que lui-même a composés pour moi.Dans le trouble importun des soucis de la guerre
Chacun me voit chagrin: car il semble, à me voir,
Que je fais des projets pour conquérir la terre,
Et mes hauts desseins ne sont que de t’avoir.
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Théophile de VIAU
Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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