Depuis ce triste jour qu’un adieu malheureux…
Depuis ce triste jour qu’un adieu malheureux
M’ôta le cher objet de mes yeux amoureux,
Mon âme de mes sens fut toute désunie,
Et privé que je fus de votre compagnie,
Je me trouvai si seul avecque tant d’effroi
Que je me crus moi-même être éloigné de moi.
La clarté du soleil ne m’était point visible,
La douceur de la nuit ne m’était point sensible,
Je sentais du poison en mes plus doux repas,
Et des gouffres partout où je portais mes pas.
Depuis rien que la mort n’accompagna ma vie,
Tant me coûta l’honneur de vous avoir suivie.
O dieux qui disposez de nos contentements,
Les donnez-vous toujours avecque des tourments?
Ne se peut-il jamais qu’un bon succès arrive
A l’état des mortels qu’un mauvais ne le suive?
Mêlez-vous de l’honneur au sort plus gracieux
De celui des humains que vous aimez le mieux?
Ici votre puissance est en vain appelée,
Comme un corps a son ombre, un couteau sa vallée,
Ainsi que le soleil est suivi de la nuit,
Toujours le plus grand bien a du mal qui le suit.
Lorsque le beau Pâris accompagnait Hélène,
Son âme de plaisir vit sa fortune pleine,
Mais le sort ce bonheur cruellement vengea,
Car comme avec le temps la fortune changea,
De sa prospérité naquit une misère
Qui fit brûler sa ville et massacrer son père.
Bien que dans ce carnage on vit tant de malheur,
Qu’on versa dans le feu tant de sang et de pleurs,
Je jure par l’éclat de votre beau visage,
Que pour l’amour de vous je souffre davantage,
Car si longtemps absent de vos yeux,
Il me semble qu’on m’a chassé d’auprès des dieux,
Et que je suis tombé par un coup de tonnerre
Du plus haut lieu du ciel au plus bas de la terre.
Depuis tous mes plaisirs dorment dans le cercueil.
Aussi vraiment depuis je suis vêtu de deuil,
Je suis chagrin partout où le plaisir abonde,
Je n’ai plus nul souci que de déplaire au monde,
Comme sans me flatter je vous proteste ici
Que le monde ne fait que me déplaire aussi.
Au milieu de Paris je me suis fait ermite,
Dedans un seul objet mon esprit se limite,
Quelque part où mes yeux me pensent divertir
Je traîne une prison d’où je ne puis sortir,
J’ai le feu dans les os et dans l’âme déchirée
De cette flèche d’or que vous m’avez tirée.
Quelque tentation qui se présente à moi,
Son appas ne me sert qu’à renforcer ma foi.
L’ordinaire secours que la raison apporte
Pour rendre à tout le moins ma passion moins forte,
L’irrite davantage et me fait mieux souffrir
Un tourment qui m’oblige en me faisant mourir.
Contre un dessein prudent s’obstine mon courage
Ainsi que le rocher s’endurcit à l’orage.
J’aime ma frénésie et ne saurais aimer
Aucun de mes amis qui la voudraient blâmer.
Aussi ne crois-je point que la raison consente
De m’approcher tandis que vous serez absente.
J’entends que ma pensée éprouve incessamment
Tout ce que peut l’ennui sur un fidèle amant,
J’entends que le Soleil avecque moi s’ennuie,
Que l’air soit couvert d’ombre et la terre de pluie,
Que parmi le sommeil de tristes visions
Enveloppent mon âme en leurs illusions,
Que tous mes sentiments soient mêlés d’une rage,
Qu’au lit je m’imagine être dans un naufrage,
Tomber d’un précipice et voir mille serpents
Dans un cachot obscur autour de moi rampants.
Aussi bien loin de vous une vie inhumaine
Sans doute me sera plus aimable et plus sainte,
Car je ne puis songer seulement au plaisir
Qu’une mort ne me vienne incontinent saisir.
Mais quand le Ciel, lassé du tourment qu’il me livre,
Sous un meilleur aspect m’ordonnera de vivre,
Et qu’en leur changement les astres inconstants
Me pourront amener un favorable temps,
Mon âme à votre objet se trouvera changée,
Et de tous ces malheurs incontinent vengée.
Quand mes esprits seraient dans un mortel sommeil,
Vos regards me rendront la clarté du soleil,
Dessus moi votre voix peut agir de la sorte
Que le Zéphyr agit sur la campagne morte.
Voyez comment Philis renaît à son abord,
Déjà l’hiver contre elle a fini son effort.
Désormais nous voyons épanouir les roses,
La vigueur du printemps reverdit toutes choses,
Le ciel en est plus gai, les jours en sont plus beaux,
L’Aurore en s’habillant écoute les oiseaux,
Les animaux des champs qu’aucun souci n’outrage,
Sentent renouveler et leur sang et leur âge,
Et suivant leur nature et l’appétit des sens,
Cultivent sans remords des plaisirs innocents.
Moi seul dans la saison où chacun se contente,
Accablé des douleurs d’une cruelle attente,
Languis sans réconfort et tout seul dans l’hiver,
Ne vois point de printemps qui me puisse arriver.
Seul je vois les forêts encore désolées,
Les parterres déserts, les rivières gelées,
Et comme ensorcelé ne puis goûter le fruit
Qu’à la faveur de tous cette saison produit.
Mais lorsque le Soleil adoré de mon âme
Du feu de ses rayons rechauffera ma flamme,
Mon printemps reviendra, mais mille fois plus beau
Que n’en donne aux mortels le céleste flambeau.
Si jamais le destin permet que je la voie,
Plus que tous les mortels tout seul j’aurai de joie.
O dieux! pour défier l’horreur du monument
Je ne demande rien que cela seulement.
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