Complainte du roi de Thulé
Il était un roi de Thulé,
Immaculé,
Qui, loin des jupes et des choses,
Pleurait sur la métempsychose
Des lys en roses,
Et quel palais!Ses fleurs dormant, il s’en allait,
Traînant des clés,
Broder aux seuls yeux des étoiles
Sur une tour, un certain Voile
De vive toile,
Aux nuits de lait!Quand le voile fut bien ourlé,
Loin de Thulé,
Il rama fort sur les mers grises,
Vers le soleil qui s’agonise,
Féerique Eglise!
Il ululait:« Soleil-crevant, encore un jour,
Vous avez tendu votre phare
Aux holocaustes vivipares,
Du culte qu’ils nomment l’Amour.« Et comme, devant la nuit fauve,
Vous vous sentez défaillir,
D’un dernier flot d’un sang martyr
Vous lavez le seuil de l’Alcôve!« Soleil! Soleil! moi je descends
Vers vos navrants palais polaires,
Dorloter dans ce Saint-Suaire
Votre cœur bien en sang,
En le berçant! »Il dit, et, le Voile étendu,
Tout éperdu,
Vers les coraux et les naufrages,
Le roi raillé des doux corsages,
Beau comme un Mage
Est descendu!Braves amants! aux nuits de lait,
Tournez vos clés!
Une ombre, d’amour pur transie,
Viendrait vous gémir cette scie :
« Il était un roi de Thulé
Immaculé… »
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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Arbre d’un vieux royaume
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Cet arbre fut planté par un dauphin très doux,
Un jour où le soleil fit voler la poussière.
Au prince, un paysan vint offrir de la bière,
Un vieillard d’Armorique avec des cheveux roux.
Le royaume, pourtant, s’effondrait de partout,
Car il avait perdu sa puissance guerrière ;
Et l’archevêque en vain se mettait en prière,
Ce calice devait être bu jusqu’au bout.
Sur le parc du château planaient de noirs nuages
Et le chant des oiseaux cessait d’être joyeux ;
La reine languissait, le roi se faisait vieux.
Où sont dorénavant leur jeunesse sauvage,
La fougue de leurs corps et l’éclat de leurs yeux ?
Or, de ce nouvel arbre ils aiment le feuillage.