Complainte des voix sous le figuier boudhique
LES COMMUNIANTES
Ah ! Ah !
Il neige des hosties
De soie, anéanties !
Ah ! Ah !
Alléluia !LES VOLUPTANTES
La lune en son halo ravagé n’est qu’un œil
Mangé de mouches, tout rayonnant des grands deuils,Vitraux mûrs, déshérités, flagellés d’aurore,
Les yeux promis sont plus dans les grands deuils encore.LES PARANYMPHES
Les concetti du crépuscule
Frisaient les bouquets de nos seins;
Son haleine encore y circule,
Et, leur félinant le satin,
Fait s’y pâmer deux renoncules.Devant ce Maître Hypnotiseur ;
Expirent leurs frou-frou poseurs ;
Elles crispent leurs étamines,
Et se rinfiltrent leurs parfums
Avec des mines
D’œillets défunts.LES JEUNES GENS
Des rêves engrappés se roulaient aux collines,
Feuilles mortes portant du sang des mousselines,Cumulus, indolents roulis, qu’un vent tremblé
Vint carder un beau soir de soifs de s’en aller !LES COMMUNIANTES
Ah ! Ah !
Il neige des coeurs
Noués de faveurs,
Ah ! Ah !
Alléluia !LES VOLUPTANTES
Reviens, vagir parmi mes cheveux, mes cheveux
Tièdes, je t’y ferai des bracelets d’ aveux !Entends partout les encensoirs les plus célestes,
L’univers te garde une note unique ! Reste…LES PARANYMPHES
C’est le nid meublé
Par l’homme idolâtre;
Les vents déclassés
Des mois près de l’âtre;
Rien de passager,
Presque pas de scènes;
La vie est si saine,
Quand on sait s’arranger.
Ô fiancé probe,
Commandons ma robe !
Hélas ! Le bonheur est là, mais lui se dérobe…LES JEUNES GENS
Bestiole à chignon, nécessaire divin,
Os de chatte, corps de lierre, chef-d’oeuvre vain !Ô femme, mammifère à chignon, ô fétiche,
On t’absout; c’est un dieu qui par tes yeux nous triche.Beau commis voyageur, d’ une maison là-haut,
Tes yeux mentent ! Ils ne nous diront pas le Mot !Et tes pudeurs ne sont que des passes réflexes
Dont joue un Dieu très fort (Ministère des sexes).Tu peux donc nous mener au Mirage béant,
Feu-follet connu, vertugadin du Néant;Mais, fausse soeur, fausse humaine, fausse mortelle,
Nous t’écartèlerons de hontes sangsuelles !Et si ta dignité se cabre ? à deux genoux,
Nous te fermerons la bouche avec des bijoux.-Vie ou Néant ! choisir. Ah ! quelle discipline !
Que n’est-il un Éden entre ces deux usines ?Bon; que tes doigts sentimentals
Aient pour nos fronts au teint d’épave
Des condoléances qui lavent
Et des trouvailles d’animal.Et qu’à jamais ainsi tu ailles,
Le long des étouffants dortoirs,
Égrenant les bonnes semailles,
En inclinant ta chaste taille
Sur les sujets de tes devoirs.Ah ! Pour une âme trop tanguée,
Tes baisers sont des potions
Qui la laissent là, bien droguée,
Et s’oubliant à te voir gaie,
Accomplissant tes fonctions
En point narquoise Déléguée.LES COMMUNIANTES
Des ramiers
Familiers
Sous nos jupes palpitent !
Doux Çakya, venez vite
Les faire prisonniers !LE FIGUIER
Défaillantes, les étoiles, que la lumière
Épuise, battent plus faiblement des paupières.Le ver-luisant s’éteint à bout, l’Être pâmé
Agonise à tâtons et se meurt à jamais.Et l’Idéal égrène en ses mains fugitives
L’éternel chapelet des planètes plaintives.Pauvres fous, vraiment pauvres fous !
Puis, quand on a fait la crapule,
On revient geindre au crépuscule,
Roulant son front dans les genoux
Des Saintes bouddhiques Nounous.
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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