Complainte des pubertés difficiles
Un éléphant de Jade, œil mi-clos souriant,
Méditait sous la riche éternelle pendule,
Bon bouddha d’ exilé qui trouve ridicule
Qu’on pleure vers les Nils des couchants d’Orient,
Quand bave notre crépuscule.Mais, sot Éden de Florian,
En un vase de Sèvres où de fins bergers fades
S’offrent des bouquets bleus et des moutons frisés,
Un œillet expirait ses pubères baisers
Sous la trompe sans flair de l’éléphant de Jade.A ces bergers peints de pommade
Dans le lait, à ce couple impuissant d’ opéra
Transi jusqu’au trépas en la pâte de Sèvres,
Un gros petit dieu Pan venu de Tanagra
Tendait ses bras tout inconscients et ses lèvres.Sourds aux vanités de Paris,
Les lauriers fanés des tentures,
Les mascarons d’or des lambris,
Les bouquins aux pâles reliures
Tournoyaient par la pièce obscure,
Chantant, sans orgueil, sans mépris :«Tout est frais dès qu’on veut comprendre la nature.»
Mais lui, cabré devant ces soirs accoutumés,
Où montait la gaîté des enfants de son âge,
Seul au balcon, disait, les yeux brûlés de rages :
«J’ai du génie, enfin: nulle ne veut m’aimer ! »
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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C'est un éléphant jaune, il voudrait que j'achète
Les trois mille bouquins qu'il a dans son bureau.
Je lui ai répondu que je n'y tiens pas trop,
Ce ne sont que sonnets par de maudits poètes.
*
Alors l'éléphant mauve organise une fête.
Je lui dis qu'il me faut avant tout du repos,
Afin d'être, demain, suffisamment dispos
Pour que l'oeuvre du jour soit correctement faite.
*
L'éléphant orange offre une métaphysique,
Le bel éléphant rose, un breuvage alcoolique,
Je les ai donc laissés se débrouiller entre eux.
*
Enfin, l'éléphant rouge enseigne le silence.
C'est donc en sa faveur que penche la balance,
Avec lui, sans parler, je suis un homme heureux.
Fratrie du cheval rouge
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Rare est le cheval jaune, il vit dans sa cachette,
Depuis bientôt cinq ans il sèche le bureau;
Pourtant son directeur ne lui en veut pas trop,
Car il discerne en lui un amusant poète.
Le cheval mauve a bu, non pour faire la fête,
Mais pour agrémenter ses instants de repos;
Pour engloutir un verre, il est toujours dispos,
Célébrant la victoire ou noyant la défaite.
Le cheval orange erre en la métaphysique,
Mais le beau cheval rose, il joue de la musique;
Ça leur prend bien du temps pour s’accorder entre eux.
Le noble cheval rouge, armé de vigilance,
Traverse un inframonde où règne le silence;
Vu qu’il ne pense à rien, c’est un cheval heureux.
Carali voit un éléphant
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Ce pachyderme fait la fête,
Il est hilare, il est faraud ;
Il s’enivre un peu, mais pas trop,
Lui qui se prend pour un poète.
Tu vois, c’est une brave bête,
Un compagnon frais et dispos ;
Dans le labeur, dans le repos,
Il ne se prend pas trop la tête.
À la sombre métaphysique
Il préfère un peu de musique ;
Il vibre à des airs langoureux.
Nous admirons son indolence,
Son sens de l’ordre rigoureux
Et son aptitude au silence.