Complainte des grands pins dans une villa abandonnée
À Bade.
Tout hier, le soleil a boudé dans ses brumes,
Le vent jusqu’au matin n’a pas décoléré,
Mais, nous point des coteaux là-bas, un œil sacré
Qui va vous bousculer ces paquets de bitume !-Ah ! Vous m’avez trop, trop vanné,
Bals de diamants, hanches roses ;
Et, bien sûr, je n’étais pas né
Pour ces choses.-Le vent jusqu’au matin n’a pas décoléré.
Oh ! Ces quintes de toux d’un chaos bien posthume,-Prés et bois vendus ! Que de gens,
Qui me tenaient mes gants, serviles,
A cette heure, de mes argents,
Font des piles !-Délayant en ciels bas ces paquets de bitume
Qui grimpaient talonnés de noirs misérérés !-Elles, coudes nus dans les fruits,
Riant, changeant de doigts leurs bagues ;
Comme nos plages et nos nuits
Leur sont vagues !-Oh! Ces quintes de toux d’un chaos bien posthume,
Chantons comme Memnon, le soleil a filtré,-Et moi, je suis dans ce lit cru
De chambre d’hôtel, fade chambre,
Seul, battu dans les vents bourrus
De novembre.-Qui, consolant des vents les noirs misérérés,
Des nuages en fuite éponge au loin l’écume.-Berthe aux sages yeux de lilas,
Qui priais Dieu que je revinsse,
Que fais-tu, mariée là-bas,
En province ?-Memnons, ventriloquons ! Le cher astre a filtré
Et le voilà qui tout authentique s’exhume !-Oh ! Quel vent ! Adieu tout sommeil ;
Mon dieu, que je suis bien malade !
Oh ! Notre croisée au soleil
Bon, à Bade.-Il rompt ses digues ! Vers les grands labours qui fument !
Saint sacrement ! Et labarum des nox irae !-Et bientôt, seul, je m’en irai,
A Montmartre, en cinquième classe,
Loin de père et mère, enterrés
En Alsace.
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Jules LAFORGUE
Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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