Cloris, ma franchise est perdue…
Cloris, ma franchise est perdue,
Mais quand, pour guérir mon ennui,
Quelque Dieu me l’aurait rendue,
Mon âme se plaindrait de lui.
Toute la force et l’industrie
Que j’opposais à la furie.
De mes travaux trop rigoureux,
A fait des efforts inutiles,
Car mes sentiments indociles
En deviennent plus amoureux.Ce qui peut finir ma souffrance
Et recommencer mon plaisir
S’éloigne de mon espérance
Aussi bien que mon désir.
Les destins et le Ciel lui-même,
Qui reconnaissent comme j’aime,
Au seul objet de mes douleurs
Ne me présentent point leur aide,
Car ils savent que tout remède
Est plus faible que mes langueurs.Je connais bien que l’œil d’un ange,
Que le Ciel ne gouverne pas,
Et qui tient à peu de louange
Qu’Amour brûle de ses appas,
S’il veut un jour, à ma prière,
Jeter l’éclat de sa lumière
À l’avantage de mes vœux,
Fera naître, au sort qui m’irrite,
Plus de bien que je ne mérite
Et plus d’honneur que je ne veux.Tandis que ma flamme ou ma rage
Attendait après sa beauté,
Un faux et criminel ombrage
Embarrasse sa volonté.
Ce feint honneur, cette fumée,
Vient étonner sa renommée
De l’impudence des mortels.
Cloris, perdez cette faiblesse :
Si vous ne vivez en déesse
De quoi vous servent mes autels ?Le plus audacieux courage
Devant vous ne fait que trembler :
Qui voit votre divin visage
N’est pas capable de parler.
Vos yeux gouvernent les pensées
Des âmes les plus insensées
Et les bornent de toutes parts ;
Et la plus aigre médisance
N’est qu’honneur et que complaisance
Aux attraits de vos doux regards.Moi qui suis devenu perfide
Contre les dieux que j’adorois,
Et dont l’âme n’a plus de guide
Sinon l’empire de vos lois,
Je vous crois parfaite et divine ;
Et mon jugement s’imagine
Que les faits les plus odieux,
Lorsque vous leur donnez licence,
Sont plus justes que l’innocence
Et que la sainteté des dieux.Mais quand des âmes indiscrètes
S’amuseraient à discourir
De nos flammes les plus secrètes,
Elles ne doivent pas mourir.
Ô dieux, qui fîtes les abîmes
Pour la punition des crimes,
Je renonce à votre pitié
Et vous appelle à mon supplice
Si jamais mon âme est complice
De la fin de notre amitié !Chère Cloris, je vous conjure
Par les nœuds dont vous m’arrêtez,
Ne vous troublez point de l’injure
Des faux bruits que vous redoutez :
Comme vous j’en ai des atteintes,
Et mille violentes craintes
Me persécutent nuit et jour.
Je crois que les dieux et les hommes,
Dedans le climat où nous sommes,
Ne parlent que de notre amour.Je suis plus craintif que vous n’êtes,
Et crains que les destins jaloux
Ne donnent un langage aux bêtes
Pour leur faire parler de nous ;
Une ombre, un rocher, un zéphyre,
Parlent tout haut de mon martyre.
Et quand les foudres murmurants
Menacent le péché du monde,
Je crois que le tonnerre gronde
Du service que je vous rends.Mais quoique le ciel et la terre
Troublassent nos contentements,
Et nous fissent souffrir la guerre
Des astres et des éléments,
Il faut rire de leurs malices,
Et dans un fleuve de délices
Noyer les soins injurieux
Qui privent nos jeunes années
Des douceurs que les destinées
Ne permettent jamais aux vieux.
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Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]
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